Le plus présent à l'affiche par chez nous, c'est bien sûr ce François Ozon, qui est loin de poser sa caméra. Il n'est pas le plus incisif, mais il est toujours stimulant de baigner dans son aura, qui interpelle par bien des manières. Avec quasiment un film à l'année, il nous revient cette fois avec une adaptation libre de la pièce de théâtre « Les Larmes amères de Petra von Kant », où son auteur Rainer Werner Fassbinder l’a également porté sur grand écran, cinquante ans plus tôt. Il renverse ainsi le contexte, en passant de la mode au cinéma et donc d'y incorporer un commentaire miroir sur le cinéaste allemand. Le rapport à la fiction passe également par l’étrangeté des lieux, où les trois hommes qui y circulent sont, soit sourd, soit muet, soit aveugle.
Nous découvrons un Peter (Denis Ménochet) fatigué, au lit bien assez tard et qui se balade rarement sans un verre de gin tonic à la main. Il traîne également une maladie des plus ardentes, qui le condamne à aimer plus qu'il n'en faut. Ce cinéaste ne sera vu que par le prisme de son quotidien confiné, dans un appartement modeste de Cologne, aux côtés d'un homme à tout faire, Karl (Stefan Crepon). Il le méprise ainsi dans chaque ordre qu'il impose à celui qui ne prononcera pas un mot de tout le récit. Pourtant, il sera possible de s'identifier et de calquer les émotions du spectateur sur ce personnage, qui n'est pas muet pour autant et qui peut également laisser sortir la vérité de sa bouche. Leur complicité indique déjà tout un univers qui les sépare et les rapproche, non pas par la musique, mais bien par l’ivresse et la sensualité.
Le portrait du cinéaste s'affine ainsi à travers les relations qu'il cherche à entretenir ou à détruire. Entre l'omniprésence de Karl, à ne pas confondre avec de la bienveillance, le soutien superflu de Sidonie (Isabelle Adjani) et de sa mère (Hanna Schygulla), son regard ne fait que se tourner vers Amir (Khalil Ben Gharbia). Il se rapproche ainsi de ce jeune homme, qu'il aide à s'élever au sommet de son art, celui qu'il maîtrise derrière l'endurance de son secrétaire de poche. Mais la confusion et la folle histoire d'amour et de désir qu'il va chercher à alimenter en perversité va bouleverser sa vie en huis-clos. Le décor suffit déjà à l’orienter dans une démence qui le conduit à la ruine et au désespoir. Il affiche l’ego hollywoodien et cocaïné de son ancienne comédienne en tête de lit, de même que celui d’Amir, qui prendra finalement plus de place que prévu, ce jeunot qui ne parvenait pas à décortiquer sa crevette.
Un jeu de domination prend place, où Amir passera de la convoitise à une bombe à retardement. Le metteur en scène est alors fasciné par la décadence du héros, qui flirte avec les sentiments d’autrui, avec un soupçon de jalousie qu’on lui accorde volontiers, sachant toute la mélancolie qu’il canalisera tout au long de sa chute. « Peter Von Kant » n’est pas inintéressant, mais pourra en froisser plus d’un, parmi lesquels reconnaîtrons aisément les ficelles d’un récit qui n’a rien à cacher. La théâtralité du jeu fait que l’on porte essentiellement notre attention sur les comédiens, prodigieux un certain temps, avant bien sûr de tomber dans les travers un peu trop académiques pour que l’on en extirpe toute la cruauté des liens qui se déchirent. Ozon aura sans doute été plus à l’aise dans le décor des « 8 Femmes », un bon équilibre entre la folie et l’ironie.