Gosford Park est un film qui ne laisse pas indifférent, ne serait-ce que par le foisonnement d'images et la perfection de la mise en scène. Il a le défaut de ces qualités, celui d'être un film parfois un peu "longuet", dans lequel l'intrigue se rompt brutalement aux 2/3, où l'on se demande finalement où le réalisateur a voulu nous emmener. Toutefois, il n'est pas possible selon moi de renier l'impeccable jeu d'acteurs (Wilby, toujours superbe depuis "Maurice", Scott-Thomas à son sommet, Ryan Philippe d'une grande crédibilité, un Clive Owen parfait, Maggie Smith plus vraie que nature...). On reste un peu dérouté par la lenteur de la mise en place, le croisement de 50 personnages, que l'on tarde à bien identifier : mais en même temps, c'est ce qui donne au film son aspect littéralement "ethnologique", le spectateur a le sentiment de flotter dans chaque scène comme un fantôme qui observerait le quotidien de ces personnages, et c'est quoiqu'on en dise toujours un magistral tour de force de procurer cette distance extrême qui nous fait oublier que les acteurs "jouent". Il faut un moment pour comprendre quelles sont les relations familiales compliqués, qui est Louisa par rapport à Constance ou Anthony par rapport à Isabel, mais ce serait presque superflu. Gosford Park est un film où l'intrigue passerait littéralement au second plan, sentiment renforcé par une fin qui laisse en suspend la question de savoir qui, finalement, a manié le poison... L'important n'est pas là, mais dans la peinture de l'époque et de la société anglaise, dans la suggestion de tous les vices et de toutes les bassesses. On rapporte souvent Gosford aux Vestiges du Jour : les deux films ont en commun cette juxtaposition permanente de l'univers des domestiques et de celui des maîtres, mais la comparaison s'arrête là. Le film d'Ivory est plus intimiste, son scénario a offert une magnifique et tragique composition à Emma Thompson et à Anthony Hopkins, tandis qu'ici, quels sont les personnages principaux, ceux dont on étudie la psychologie ? Tous et aucun à la fois, c'est ce "melting" qui donne aussi le ton et son originalité au film. C'est l'enchaînement d'une multiplicité de scènes qui se superposent, les plans ne sont jamais longs, ici pas de scène qui vous prend aux tripes comme dans les Vestiges, lorsque les deux mains se séparent sous la pluie : hormis la scène finale pour Mme Wilson, sincère et presque inattendue. Par contre, on a beaucoup glosé sur le côté "murder party" ou "cluedo" de Gosford Park (affiche et bande annonce comprises) : de ce côté là, c'est décevant, ne vous attendez pas à vivre une passionnante enquête policière. Le crime n'est qu'un "incident de parcours" dans le scénario. Je ne pouvais décemment pas crier au chef-d'oeuvre pour le film d'Altman, il manque un petit quelque chose, une trame plus démonstrative, un coup de cœur pour le destin d'un personnage. Mais c'est une reconstitution impeccable, un film dans lequel on rentre aussi différemment la seconde fois parce que la profusion d'individus nous surprend moins. Le film est à voir, il mérite ses étoiles, mais puisque comparaison il y a, rien, à mon sens, ne peut surpasser l'émotion des Vestiges du Jour, diamant en la matière.