On le décèle rapidement à travers un flashback en ouverture ou la rapide présentation de sa relation à distance condamnée par avance avec une étudiante, l'existence d'Andrew a toujours suivi le gouvernail de ses sentiments, à la recherche d'une relation amoureuse dans laquelle le jeune homme cherche à s'épanouir, voire à s'évanouir pour éviter de se retrouver seul face à lui-même.
Aujourd'hui âgé de 22 ans, célibataire contre son gré, coincé dans un job alimentaire et n'ayant pas d'autre choix que de squatter chez sa mère remariée, Andrew est de toute évidence bloqué dans une phase transitoire vers l'âge adulte qui commence sérieusement à s'éterniser. Cependant, son sens du contact et son empathie avec les enfants remarqués durant une bar-mitzvah font soudainement de lui l'animateur attitré de toutes celles organisées par des connaissances de sa famille. Au cours de l'une d'entre elles, Andrew fait la connaissance de Domino, la jeune mère de Lola, une adolescente autiste...
Auréolé d'un prix du public à Sundance, "Cha Cha Real Smooth" débarque sur Apple TV+ avec la réputation d'être une de ces fameuses pépites annuelles du cinéma indé US en matière de dramédie feel-good, un genre de longs-métrages qui, avec le temps, en est parfois venu à perdre de sa spontanéité au profit de formules stéréotypées et de carcans scénaristiques inévitables...
Heureusement, le second long-métrage de Cooper Raiff (ici scénariste, réalisateur et acteur principal aux faux-airs d'un David Tennant jeune) se révèle être en réalité une très bonne pioche en la matière, déjouant même souvent nos attentes préétablies envers le genre pour y révéler une subtilité d'approche plus que bienvenue !
Cela ressent évidemment d'abord par la superbe mise en valeur de l'aura bienveillante de son héros en demande de plus pour avancer. Certes, Andrew s'est mis à stagner face à ses propres incertitudes qu'il ne parvient à gérer seul mais la candeur rayonnante et optimiste de sa personnalité est telle qu'elle prend le pas sur ses blessures et contamine de façon bénéfique tous ceux qui l'approchent. Cela se voit évidemment avec cette énergie canalisée dans ce rôle d'animateur de bar-mitzvah populaire auprès des enfants (et des mères dans un premier temps) mais aussi sur toutes les relations avec son entourage que Cooper Raiff lui dessine avec une tendresse jamais prise en défaut : des conseils sentimentaux à son petit frère à la force du lien avec sa mère bipolaire en passant par la belle amitié qu'il noue avec Lola en la traitant d'égal à égal, l'influence d'Andrew a finalement un véritable aspect curateur pour les doutes que connaissent ses proches à travers tous les âges de la vie là où lui-même se voit sans solution sur ce point pour guérir et avancer.
Et puis, il y a Domino. Elle-même va bien sûr succomber rapidement au caractère solaire du personnage qui multiplie les attentions touchantes à l'égard de sa fille isolée par sa condition et Andrew ne va clairement pas être insensible au charme de la jolie mère ostracisée par ses pairs jalouses de sa beauté, de sa jeunesse...
À partir de là, "Cha Cha Real Smouth" aurait pu prendre la voie toute tracée d'un coming-to-age (tardif) movie comme tant d'autres, avec un déferlement de mièvrerie romantique comme seul salut ultime à l'immobilisme de son héros, mais Raiff réussit à se défaire des clichés les plus attendus de ce type de récit (hormis peut-être le déroulement un peu plus balisé de sa dernière partie) grâce à un ton étonnamment mature et réfléchi afin aborder le plus justement possible cette confrontation entre deux trajectoires existentielles en plein désarroi.
En faisant ainsi heurter le désir d'échappatoire amoureux aveuglant d'Andrew aux derniers soubresauts d'une liberté de choix trop tôt enlevée à Domino, "Cha Cha Real Smooth" parvient à faire de l'indicible de leurs sentiments naissants un parfait moyen d'expression à leurs tourments respectifs grâce à bon nombre de séquences d'une sincérité imparable, traduits par des dialogues remarquables et à l'écho toujours plus travaillé et révélateur sur la nature de ces blessures intimes, le tout non pas dans l'optique de chercher à faire grandir ces personnages d'un seul coup de baguette magique mais plutôt en vue de leur faire réaliser peu à peu la meilleure façon d'y parvenir malgré leurs failles. Et si, comme dans toute romance très réussie, les étincelles amoureuses entre ces deux-là se feront magnifiquement ressentir à chaque regard ou sourire que l'un pose sur l'autre (l'alchimie entre Raiff et Dakota Johnson est tout simplement irrésistible), il deviendra vite clair que ce sera avant tout leur manière partagée d'appréhender l'expérience de cette rencontre qui fera office de guide vers une forme d'apaisement quant à leur avenir (les scènes finales, véhicules d'une émotion encore plus désarmante que le reste, touchent à la perfection en ce sens)...
On ne nous avait donc pas trompé sur la marchandise : par l'intelligence de son écriture et sa manière de capter avec justesse la fébrilité existentielle de son héros en concert avec tous les protagonistes incroyablement attachants placés sur sa route, "Cha Cha Real Smooth" est bien une pépite qui fait souffler un vrai vent de fraîcheur en sa catégorie, en révélant au passage un réalisateur-auteur qui pourrait en devenir une plus que prometteuse référence. Et impossible de ne pas terminer en saluant les performances du casting dans son ensemble, à commencer par ses représentantes féminines (Dakota Johnson dans un de ses plus beaux rôles, la révélation Vanessa Burghardt, actrice réellement autiste, ou encore celle qui représente la plus chaleureuse des mamans américaines du cinéma actuel, Leslie Mann) et bien entendu Cooper Raiff lui-même... Ce jeune bougre a décidément tous les talents.