Un début prometteur sur la scène de la country (Crazy Heart), de violents bras de fer avec la pègre rurale puis urbaine (Les Brasiers de la Colère, Strictly Criminal), de retour pour enterrer la hache de guerre (Hostiles) et pas vraiment à l’aise dans l’incarnation spirituelle d’un wendigo (Affamés), Scott Cooper prend étonnamment le virage serré vers Netflix. Avec le cadre du « Nom de la rose » dans le collimateur et le roman éponyme de Louis Bayard à l’esprit, il resserre l’étau sur une nouvelle fable, dont il continue de questionner l’héritage, à travers sa part d’ombre et de glace. Il prend ainsi conscience de la mesure littéraire de l’auteur, qui a su assimiler des personnalités d’Edgar Allan Poe et d’Eugène-François Vidocq sous sa plume. Il n’est donc pas étonnant de voir le cinéaste s’emparer d’une telle opportunité afin d’étudier la criminalité et la violence sous toutes ses coutures.
Dans la vallée de l’Hudson, à l’académie militaire de West Point, il n’y a que l’hiver et le froid pour nous accueillir. Un cadavre d’un jeune aspirant y trône, la corde autour du cou et c’est au détective local que l’on fait appel, afin d’élucider le meurtre qui entoure cette institution prestigieuse. Augustus Landor (Christian Bale) s’abrite ainsi dans une cage sentimentale, qu’on n’ouvrira qu’une fois le dernier mot posé sur cette affaire, mais avant cela, c’est tout un dédale de pistes qui attend le spectateur et le mordu littéraire, qui attend de voir son modèle d’inspiration à l’œuvre. L’enquête pousse ainsi ce père, sans enfant à abriter, à trouver du soutien du côté du jeune poète, Edgar Allan Poe (Harry Melling), encore méconnu et qui sera reconnu comme frère littéraire de Charles Baudelaire de ce côté-ci de l’Atlantique.
Le camarade de la victime ne recule devant rien pour se distinguer et faire-valoir son verbe, aussi brillant que décalé. Ce personnage vole ainsi la vedette à son associé, qui préfère puiser du côté rationnel de la science et de l’observation, au lieu de se laisser porter par le dynamisme romantique, voire macabre par instant. Malheureusement, le jeu du whudonit s’essouffle après une première partie rigoureuse, qui prend le soin d’analyser la structure institutionnelle qui irrite fortement Landor. Le cinéaste commente ainsi la même violence qu’il a déjà présentée dans ces précédentes œuvres, quand il se permet d’autopsier les corps, qu’ils soient encore chauds ou rigides. Le reste de l’intrigue tombe dans la facilité d’un mélodrame, qui ampute toute émotion ou suspense qui devaient cristalliser les enjeux psychologiques des personnages.
Le film se dissipe alors peu à peu, tel un fantôme dont on cherche à deviner les contours, sans succès. Il est d’ailleurs noté qu’Howard Shore est de la partie. Sa discrétion n’est qu’un argument de plus en faveur de cette longue affaire brumeuse, aux airs faussement glaciaux. « The Pale Blue Eye » évoque ainsi la chute du confort des colons américains, par le biais d’une culture de la violence et vengeresse, que certains continuent de piller à leur avantage. Si le propos est tenu dans un premier temps, on regrettera que cette piste, soit rapidement écartée, afin de se centrer sur le romantisme foudroyant de Poe. Cooper rend donc hommage au célèbre auteur de romans policiers qu’il deviendra par la suite, ce qui nous donne une folle et curieuse envie de se glisser entre les pages de l’écrivain, au lieu de maintenir notre intérêt autour des sapins enneigés et endeuillés par le caprice des mortels.