Voir Scott Cooper adapter l’imaginaire gothique d’Edgar Allan Poe ne surprend guère compte tenu de son goût pour les personnages hantés, de Rodney revenu traumatisé de la guerre en Irak (Out of the Furnace, 2013) au capitaine Joseph J. Blocker contraint de cohabiter avec le chef indien ennemi à l’origine de l’exécution de ses frères d’arme, en passant par la figure de la mère endeuillée, à laquelle on a ravi époux et enfants (Hostiles, 2017). Cet intérêt porté aux fantômes qui accompagnent des protagonistes oscillant entre deux rives confère à ces derniers une profondeur sensible et ancre les situations qu’ils vivent dans des motivations de vengeance ou, plus généralement, dans une démarche spirituelle.
Nous retrouvons tout cela dans The Pale Blue Eye, enquête teintée de sciences occultes au sein d’une académie militaire, microcosme dépeint dans sa rigidité et son hypocrisie congénitales : l’inspecteur Landor a perdu sa femme et ne sait ce qu’est devenue sa fille – du moins, selon ses dires ; sa détresse répond à la noirceur des crimes perpétrés dans les bois environnant l’école, ainsi qu’à celle du poète Poe qui convertit son « ennui », comprenons sa mélancolie, en poèmes. La magnifique photographie de Masanobu Takayanagi, habitué du cinéma de Scott Cooper et de celui de Tom McCarthy, confère au film une atmosphère glaciale onirique dans lequel les paysages enneigés sont autant de supports offerts à une rêverie douloureuse. Le cinéaste sait capturer l’errance intérieure de ses personnages : ainsi laissés à une nature tout à la fois hostile et magique, ils accomplissent en enquêtant sur autrui une marche vers l’acceptation d’un passé qui peine à passer ; ils se racontent par l’intermédiaire de l’autre, laissent des indices (ici, les deux messages manuscrits) comme autant de fragments d’une vérité à reconstruire. La partition musicale de Howard Shore, subtile et envoûtante, rejoue sous la forme d’une variation le thème de The Silence of the Lambs (1991), autre œuvre consacrée à un tueur en série.
Desservi par un ventre mou et le recours aux clichés du genre – notamment dans sa représentation du satanisme, facile –, The Pale Blue Eye n’en demeure pas moins intrigant et maîtrisé, preuve de l’indéniable talent de Scott Cooper et de son acteur fétiche Christian Bale.