Mon analyse en vidéo: https://youtu.be/LI6lPz4igRo
Sorti en salle le 2 Février 2022 en France, et précédé d’une opinion générale largement favorable
voire laudative, Red Rocket n’entre pas tout à fait en terre inconnue. Remarqué par son long-métrage Florida Project en 2017, le réalisateur Sean Baker, dont on qualifie volontiers les films d’OVNI, a su cristalliser l’attention outre-atlantique par la fraîcheur de sa mise en scène et le ton résolument affranchi de son scénario. Et c’est avec l’étiquette très franco-compatible de comédie cynique et grinçante que Red Rocket fait son immixtion dans l’hexagone. Or, qu’en est-il? Peu de chose. Du moins du côté de l’outrage. Côté mise en scène, on attribuera à Sean Baker une aisance certaine qui tombera trop souvent dans une désinvolture in fine plutôt ordinaire. Pas un mauvais film, mais pas un bon non plus. La comédie américaine survoltée nous laisse dans la tiédeur. Jusqu’à la surchauffe.
Car la structure du film est taillée à la mesure de Mikey: déchaînée, multi-directionnelle, chaotique,
spontanée, à l’attention trouble qui tente tant bien que mal à se focaliser – littéralement, à suivre son personnage qu’une surcharge libidineuse entraîne. La pornstar masculine désuette, nourrie au viagra, comme le film l’est à l’elliptique et au short-cut, tente par tous les moyens de s’ouvrir une voie; une ligne de crête existentiel, un horizon. Une stabilité. Mais le court-termisme, le rythme effréné des pulsions et leur caractère ambivalent, n’aspirent à aucun projet durable dans le temps long d’une vie. C’est tout le mal qu’il s’inflige, aux désirs mouvants comme la queue du chien, et tout le mal qu’il inflige autour de lui. **Car Red Rocket est un film dont la préoccupation première est l’éthique. Peut-être l’heuristique.** La confrontation du temps long nécessaire de la sagesse et de la construction personnelle contre les mâchoires du besoin et de la consommation. Et un film sur le déterminisme, sur les chaînes de causalité, contre l’idéologie profondément individualiste d’une Amérique en déclin.
Cette l’Amérique déchue s’incarne comme le veut la tradition au Texas, état témoin de la ségrégation sociale et économique, marginalité où Sean Baker aime étendre sa filmographie. Ruralité désabusée, championne de la consommation de drogues, campée sur un patriotisme aveugle. Mais aussi l’état de Trump, le vivier de ses électeurs, dont les apparitions télévisuelles font une toile de fond au film. Un Texas du désœuvrement, préoccupé avant tout de ses besoins, c’est-à-dire l’intervalle le plus court de l’existence.
Mikey est un bad-guy déguisé en mec cool et branché, alimentant le porn-dreaming starifié depuis
quelques années aux états-unis. Derrière ce nouvel américan-dream se cache un exploitant, maquereau légalisé, ondulant ses belles promesses comme le serpent d’Eden, qui précipitera des jeunes femmes immatures au cœur d’un système marchand où le corps n’est rien qu’une location. Là encore s’agite le feu du besoin: la promesse d’une gloire rapide, d’une célébrité facile -il ne suffit que de donner son corps, le règne du fantasme sur une réalité glauque et destructrice. Et une nouvelle apparition de Trump à la télévision, marchand de rêve où règne le fantasme de la solution facile, écran de fumée sur une réalité glauque et destructrice.
Mais on ne pourrait réduire Mikey à un simple manipulateur factice. Mikey est avant tout une proie de son système de valeur et de son habitus social. Réalité déformée par une surabondance obscène et pulsionnelle, que le réalisateur excite chez le spectateur dans le décor d’un magasin de donuts: où le trou – du cul, la pénétration, sont des allusions pour qui veut bien les trouver. Un prisme déformant par l’omniprésence de son conditionnement mental chez Mikey: une rousse apparaît comme une ginger, une femme, une fille même, comme une sexe-addict délurée, et rien d’autres. Faute d’aptitude à les concevoir par une autre voie. Le règne de l’imbécilité, et une nouvelle apparition de Trump...
L’irresponsabilité entraîne de nombreux maux, des réactions en chaîne insoupçonnables et irréversibles. C’est la synthèse de la vie de Mikey, qui après avoir détruit la vie de sa femme, s’évertue à plonger à son insu une jeune fille dans les méandres, et causera un accident de masse par son inconséquence. Accident, réaction en chaîne incontrôlée, qui causera la mort et la réclusion pour son nouvel ami. Un exemple de déterminisme, d’inter-relations entre soi et l’environnement, dans une Amérique individualiste, ultra-libérale, libertarienne, qui promeut le self-made man, à l’opposée de la complexité sociétale où tout est noué. Et une nouvelle apparition de Trump, climato-sceptique cette fois... réaction en chaîne et causalité
irréversibles?
L’assertion du self-made man battue en brèche sur le thème de la propriété: nous sommes
tout autant agent actif qu’agent passif, dans une relation perpétuelle d’exploitant-exploité, de maître et d’esclaves: car enfin le succès de Mikey tient tout autant à ses performances qu’à celles de ses
partenaires, en témoigne le dialogue sur le l’AVN Award pour la meilleure fellation, Mikey agent de ses rêves de gloires mais esclaves de ses pulsions et de ses choix de vie infondés, une mère et sa fille maître de leur propriété mais dont le libre-arbitre est esclave de l’argent rapporté par Mikey, gang tupacisé, maître su secteur mais pourtant régi par l’autorité de leur maman. Donald Trump maître du monde mais dont le succès appartient davantage à un tournant de l’Histoire qu’à sa propre volonté.