Ce qui aurait pu verser dans un « Jojo Rabbit » bis s’apparente davantage à un cousin éloigné du « Roma » d’Alfonso Cuarón, l’intensité en moins. Kenneth Branagh braque son récit à la limite de ses souvenirs d’enfance et pose son regard à hauteur de son jeune héros, largué dans un conflit civil, entre catholiques et protestants. L’Irlande, qui a déjà connu d’autres violentes révolutions, notamment au début des années 20 pour ses frontières, nous revient également déchiré de tout part, en période de Troubles, qui n’appartiendront qu’au décor, d’un récit évasif. Partagé entre le désir de renouer avec l’intime et d’investir le noir et blanc, soi-disant glamour, hollywoodien, celui qui porte fièrement l’étendard shakespearien peine encore à exister sur la scène cinématographique.
Malgré la volonté évidente du cinéaste pour ses choix de mise en scène, ses nombreuses contre-plongées font tort à son intrigue, touchante au premier abord. Il en va de même pour toutes les successions de lieux emblématiques de Belfast, berceau de sa jeunesse et de sa culture. Les symboles cèdent rapidement la place à de l’autocitation, où il se projette en Buddy (Jude Hill), petit dernier d’une famille, qui connaît son camp, mais qui n’approuve pas tant de violence dans leur quotidien. Le père (Jamie Dornan) se livre corps et âme pour la sécurité et garantir l’avenir de ses proches, tandis que la mère (Caitriona Balfe) reste un pas derrière ses fils, prête à répondre de leurs actes. Pourtant, il n’y a rien de bien innovant dans ce portrait que l’on a vu cent fois ailleurs, car le film passe le plus gros de son temps à exploser des personnages, dont les relations n’évoluent que par le dialogue moral, alimentant par la même occasion les motifs culturels de Branagh, du théâtre au cinéma, en passant par la littérature.
Il y dresse toute la simplicité et la bienveillance de son héros, justifiant l’artisan qu’il est devenu aujourd’hui, souvent contraint à remplir des cahiers des charges. De ce côté-là, il sera beaucoup moins convaincant, mais quelque part à l’opposé, il prend du recul avec son « Belfast » et on pourra au moins le voir briller, le temps d’un chaos contrôlé, et conté par le dramaturge qu’il a toujours été. La présence de Judi Dench et Ciarán Hinds n’est donc pas aussi anecdotique et promettent sans doute plus de couleurs que prévu, et cela, pour mieux souligner l’ouverture d’esprit d’un cinéaste qui ne s’est pas toujours attiré les faveurs du spectateur. Ici, tout ne sera pas parfait, mais aura le mérite d’accompagner certaines interrogations de Buddy, sous la partition effrénée de Van Morrison. Si nous sommes encore loin d’une cohabitation sereine, entre tous les arts qu’il rassemble et qui l’inspire, Branagh peut se permettre de faire déborder la coupe de sa rêverie juvénile, légitime et dans le fond bouleversante.
Partir ou ne pas partir devient tout l’enjeu du récit, où la tension ne cesse d’accroître au sein de milices, uniquement caractérisées par le bain de sang et les dégâts matériels derrière elle. La narration suit cette même logique, car ne sait pas comment encadrer son sujet. Le réalisateur veut couvrir un trop grand terrain pour proprement en développer une partie. Le décalage entre les conflits internes de l’Irlande du Nord et les bulles de paix à l’école ou dans certains établissements culturels ne laissant pas le temps nécessaire à Buddy de s’acclimater, là où il a grandi, là où le visage de son quartier change du jour au lendemain, mais ce qui compte vraiment tient dans ces petits détails, ces instants de tendresse en famille, où le choc des générations façonne toute la force et l’entrain d’une jeune adolescent, finalement prêt à s’envoler pour vivre une vie, où il sera le seul maître à régner.