Felix van Groeningen n’est pas un inconnu de la Croisette ou d’autres festivals (La Merditude des Choses, Alabama Monroe, Belgica, My Beautiful Boy). Il nous revient toujours avec un brin d’émotion, qui gagne à être connu du grand public. C’est chose faite avec son dernier film tourné aux Etats-Unis. À présent, il est temps de se tourner vers une nouvelle complicité, où la paternité devient une passerelle vers la fraternité. Une amitié naît de l’enfance et se reconstruit à l’âge adulte. Une aventure au sommet, remplie d’amour et de peine, réunit le cinéaste belge à sa compagne, Charlotte Vandermeersch, afin d’immortaliser les fortes sensations d’un voyage fait d’allers et de retours, entre le temps et l'espace.
C’est dans les Aples italiennes qu’ils se tournent, face à l’immensité du décor, les inspirant davantage pour mettre en scène les relations conflictuelles et fraternelles de deux garçons. Pietro (Luca Marinelli) n’est pas du coin, mais la période estivale lui a donné l’occasion de rencontrer Bruno (Alessandro Borghi). L’un mène une vie plus aisée que l’autre, tandis que l’un aura plus d’assurance et d’énergie à revendre. Pourtant, leurs différences s’effacent dès lors qu’ils entreprennent l’ascension de la montagne. Il n’y a plus qu’un fil pour les unir, comme pour sceller leur destin, notamment à travers la figure du père de Pietro, qui reconnaîtra en Bruno le fils spirituel qui partagerait sa passion pour ce genre de randonnée. Tout le récit déroule toute sa force tranquille dans une endurance admirable, qu’il convient de découvrir dans des conditions optimales et propices à une évasion de 2h27.
Cette durée admettra toutefois ses moments de suspensions, qui se confondent avec la contemplation personnelle des cinéastes, jusqu’à citer leur approche un peu citadine dans ces contrées désertées qui reçoivent la visite occasionnelle de touristes. Le rapport à la nature devient alors un sujet que l’on remet au centre des discussions, où Pietro serait le narrateur et l’explorateur. Il n’est d’ailleurs pas très étonnant de voir l’adaptation du roman de Paolo Cognetti tomber entre les mains de van Groeningen, qui déjà pu explorer des thématiques qu’il retrouve et qu’il exploite à la manière d’un ermite qui aurait atteint sa maturité. Les longueurs peuvent ainsi se dissiper à travers le parcours atypique du héros un peu solitaire, fragile, mais convaincu qu’il lui reste encore une ascension de plus pour gagner la compréhension d’une vie qui lui échappe. Il ne sait pas où aller, ni quand s’arrêter. Une chose est sûre cependant, il n’est pas près de quitter cette vallée, où ses souvenirs d’enfance pèsent sur son présent. Une maison fait-main en témoigne, tout comme le dernier homme qui renonce à l’appel de l’aventure, pour finalement chercher la même chose, à savoir le bonheur.
Par sa photographie somptueuse et son format 4:3 qui donne des vertiges, « Le Otto Montagne » (Les Huits Montagnes) convoque la sensibilité d’un spectateur, dont le goût de l’aventure pourrait être réveillé l’instant d’une œuvre qui en dégage sa passion et sa richesse. Deux hommes confrontent leur mode de vie, leur passé et leur avenir, le tout rythmé par des ellipses essentielles à leur développement, leur déracinement et leur apprentissage. Le fantôme de leur paternel erre encore dans le hors-champ, mais leur lutte pour se libérer d’un héritage force le respect. On regrettera toutefois de ne pas retrouver cette masse émotionnelle nous frapper avec tout le poids d’une montagne, en guise de réconciliation ou de carte postale.