A Bombay, une infirmière, Prabha, héberge une collègue plus jeune, Anu. L’ainée se retient de vivre dans l’attente de son mari, parti travailler en Allemagne, peu de temps après un mariage arrangé par les familles, et même lorsqu’un médecin de l’hôpital ressentant un sentiment pour Prabha, lui fait des avances romantiques sous forme de poème, elle dit non. La cadette vit un amour clandestin et passionné avec un jeune musulman, Shiaz, mais ses parents aimeraient bien lui choisir un mari, et elle fait tout son possible pour échapper au mariage arrangé qu’on lui prépare... Toutes deux infirmières, elles semblent dévouées à leur métier et nouent des relations en apparence sereines avec leur entourage. Mais elles partagent un certain désenchantement, lié à leurs frustrations affectives et leur condition de femme ne disposant pas d’un réel libre arbitre dans une société patriarcale attachée au poids des traditions et de la religion. Elles ont pour amie, Parvaty, une cuisinière de l’hôpital... Cette dernière est menacée d’expulsion, en butte à des promoteurs à l’affût d’immeubles plus ou moins en décrépitude dans lesquels les habitants n’ont aucun papier prouvant qu’ils sont propriétaires de leur logement, ce qui semble être son cas.
Cette trame minimaliste constitue la première partie du récit et privilégie l’équilibre entre des dialogues explicatifs et le non-dit, dans des plans sans esbroufe se déroulant à Bombay, une ville dont le cœur bat trop vite et empêche de respirer ce qui amène les gens à se réfugier dans des intérieurs, le plus souvent sombres et de nuit…c’est un peu glauque, mais cela permet à la réalisatrice de mettre en œuvre ses talents de documentariste tout en nous faisant partager le quotidien des trois femmes. Lorsque arrive la seconde partie, c’est un tout autre film qui commence, l’atmosphère générale changeant. On retrouve Prabha et Anu qui ont accompagné Parvati dans le village côtier dont elle est originaire. Le film devient alors plus onirique, plus mystique, avec de belles images et quelques scènes d’une grande force, d’une indéniable élégance visuelle, ne serait-ce que par le décor naturel d’une forêt proche de la mer et du village côtier de Ratnagiri. Le film de Payal Kapadia ambitionne de décrire des réalités sociales précises d’un milieu corseté par ses traditions…C’est un film modeste, discret, presque trop dilué qui peut prendre parfois une forme poétique parfois déconcertante … Le film a remporté contre toute attente, le Grand Prix au dernier Festival de Cannes…une distinction qu’on est en droit de trouver taillée trop grande pour lui tant « All We Imagine » est effectivement un film « light », si allégé qu’il suscite par moments une certaine indifférence….