La fiction n’a pas seulement un besoin de transcender le réel. Elle peut également être un témoin précieux, à l’image du frère d’Alice Winocour (Augustine, Maryland, Proxima), qui a survécu à l’assaut sur le Bataclan. La cinéaste revient sur un tragique incident, qui offre un instant de résilience émouvant et nécessaire. Il n’y a nul besoin de date ou de pancarte pour identifier le contexte ou les enjeux. Nous avons tout un groupe de survivants, dont le monde a fini par rétrécir en l’espace d’une nuit de la taille d’un restaurant, d’une salle à manger ou simplement de leur esprit. Mais cette présence n’est que temporaire, contrairement aux cicatrices qui ont été laissées dans un drame, qu’on ne viendra pas interroger du point de vue des assaillants ou général. Le regard et la caméra de Winocour ont choisi de se poser sur une femme, en quête de réponse, à travers une ville que l’on scrute avec attention, dans ces détails et dans ses traumatismes qu’elle porte.
Mia y était, Mia y est encore. Virginie Efira donne du corps à son personnage mutilé, sans pathos et avec une justesse qui saisit immédiatement les anonymes que nous sommes. Pourtant, ce n’est pas dans une transparence complète que l’on ouvre le film. On épouse le point de vue d’une femme, qui a la mémoire défaillante. Il ne lui reste plus qu’à remonter toutes les pistes, afin de combler ce black-out. Mia entraîne par la même occasion, les fantômes de son escale au restaurant, où les visages lui seront familiers. Certains se montreront plus hostiles, tandis que d’autres la retiennent dans sa chute libre. Quoiqu’il en soit, un lien unique rassemble ces individus, venus fêter un anniversaire ou se rassasier avec une cuisine plus exotique. Le goût et les saveurs sont des éléments invisibles que le film ne met pas de côté pour travailler une immersion authentique, où les cinq sens sont mobilisés.
Chaque fragment de souvenirs que Mia récupérera est un pas de plus vers le repos, celui qu’elle mérite et celui dont ses proches ne peuvent pas lui offrir, malgré leur candeur ou leur volonté. Cette charge, ne repose pas seulement sur une personne et c’est ce que le récit souligne à plusieurs reprises, sans forcer sur l’hommage. Le parcours de Mia est similaire à son travail comme traductrice. Elle se dédouble momentanément, mais au final, il n’y a que sa voix qui reste. Elle a besoin d’un tiers afin d’exploiter au maximum la communication, dans le but de renvoyer sa compréhension. Cette notion trouvera son écho dans la dernière partie, qui navigue dans les quartiers surpeuplés, bruyants et insalubres de la cité parisienne. Son portrait est également raccord avec le puzzle mental de l’héroïne, qui est bâti de visages ou de silhouettes qu’elle suit, tels des fantômes.
« Revoir Paris » empoigne ainsi une sincérité, au service de victimes qu’on ne regarde plus de la même façon et qui ont encore tout à découvrir de leur existence, bousculé dans les souvenirs et dans la perception de chacun. Le devoir de mémoire serait donc la clé pour venir à bout d’un traumatisme, qu’il convient d’affronter avec le recul d’un sage et le zèle d’un prédateur. Le film sonde élégamment cet équilibre, en faisant éclore des sentiments que l’on croyait éteints et en redonnant une voix à ceux qui ont accepté de revenir au présent, au lieu de fuir dans les limbes du passé.