Si d'aucuns relèveront mieux que moi la justesse de l'architecture narrative et symbolique qui maintient ce psychodrame sur fond de complexe Œdipien en place, je noterais quelques défauts simples qui cantonnent Spider au rang de petit film, bien construit certes, mais sans flamboyance et sans grand impact. Tout d'abord, la récurrence des motifs thématiques ou visuels à laquelle Cronenberg s'astreint pour restituer l'univers mental claustrophobe et obsédé de son personnage psychotique en fait à mon sens quelque chose d'un peu trop verrouillé. Avant qu'on n'en connaisse l'issue et la cause première, ce récit prenait déjà trop le parti de coller aux fantasmes de son personnage pour ne pas qu'on en devine la teneur. Les personnages secondaires, cantonnés à une surface plane (le père volage et irresponsable, la mère douce et trahie, la fille de bar vulgaire et offerte), se veulent uniquement comme des projections de l'esprit du personnage de Fiennes. Dans un sens, savoir qui a tué qui ou qui a trompé qui perd déjà un brin de son importance, quant on devine à travers ce labyrinthe mental un peu trop évident et balisé que de toute façon, le personnage ne l'a pas évacué et que les événements ne sont toujours pas résolus dans le présent narratif. À ce compte, autant attendre l'épilogue pour savoir si le personnage surpassera enfin sa psychose, plutôt que d'empiler une à une les scènes censées en montrer l'étendue alors que le traitement se charge de le faire bien trop vite. Il manque, à mes yeux, d'un peu plus d'opacité et de doute quant à la nature des scènes de fantasme et de souvenirs, pour laisser planer un mystère sur chaque scène quant à savoir si elle a réellement eu lieu ailleurs que dans la subjectivité qui sert de voie d'entrée à tout le film. Cela aurait permis, en plus, de faire vivre un peu les autres personnages. Ceux-ci, du coup, sont en effet réduits à de simples projections, dont on sait par avance qu'elles sont informes et pourront très vite changer le long du cheminement intime d'un personnage qui cherche à ré-assembler ses souvenirs pour regarder le passé dans les yeux. Impossible pour eux d'émouvoir, quant on sait que les instants qu'ils partagent ne sont pas pris sur le vif, mais factices et ré-arrangés. Tout du long, Spider m'a donc semblé un peu inerte, un peu trop cantonné à respecter son régime de fonctionnement méticuleux en tout points pour essayer de se mettre en danger. Au moins, il est sûr que si on le regarde avec un peu de recul, le canevas parait solide et cohérent comme peu de films le sont. Ma dernière gêne, finalement, vient d'une méprise qu'entretient généralement le cinéma quand il parle de folie ; faire passer la substitution d'images et de motifs comme seul vecteur de la confusion qui règne dans un esprit malade. Je sais bien que le procédé est nécessaire, quand le cinéma est un art visuel et que nous ne pouvons concevoir la folie qu'à l'aune de notre raison. L'expérience de déréalisation perçue par le fou, nous ne la connaissons pas ; il nous faut donc, pour tenter de s'immiscer dans sa psychose, mettre en place un décalage entre la réalité qu'il perçoit et celle, objective, des faits, à l'aide d'images mêlées et de visages intervertis. Mais tout cela n'est que le jeu auquel se prête un esprit sain, et demeure sans doute très différent de la folie réellement vécue. C'est là la limite du cinéma en terme de possibilités d'immersion, et j'en ai trop conscience pour ne pas voir Spider comme une oeuvre repliée sur elle-même et extérieure à la souffrance de son personnage. Bref, c'est bien avec A History of Violence que David Cronenberg aura finalement retrouvé son inspiration.