Francis Ford Coppola est sorti éreinté de la décennie 70 en même temps que couvert de gloire. En quatre films il a récolté pas moins de 9 Oscars et 2 Palmes d'or à Cannes. Venu à bout du tournage dantesque d'"Apocalypse now" et revenu d'une grave dépression, l'encore jeune réalisateur (40 ans en 1979) est soudain pris de mégalomanie. Ayant fondé sa propre société de production (American Zoetrope) depuis 1969, il se lance dans la réalisation de "Coup de cœur" (1980), romance musicale "kitchissime"ur la classe populaire américaine, illuminée par les sunlights et bardée de néons. C'est un bide aussi retentissant que son budget est colossal, obligeant Coppola à revoir très vite ses ambitions à la baisse. Adaptant "Outsiders", un roman de S.E. Hinton, il se réapproprie le film de bande, popularisé dans les années 50 par les films de Laszlo Benedek ("L'équipée sauvage" en 1953), Richard Brooks ("Graine de violence" en 1955) et Nicholas Ray ("La fureur de vivre" en 1955). Il en reprend les thématiques essentielles, notamment le déterminisme social en le nimbant du naturalisme d'un John Ford et d'une esthétique flamboyante empruntée à des films comme "Autant en emporte le vent" (Victor Fleming en 1939) ou "Duel au soleil" (King Vidor en 1946). Une esthétique rendue possible par le long intermède champêtre introduit au milieu du film par Coppola que Stephen H. Burum, son chef opérateur inonde de couchers de soleil magnifiques plus vrais que nature. Pendant le tournage il prépare un autre film sur l'adolescence rebelle, "Rusty James" lui aussi inspiré d'un roman de S.E. Hinton et beaucoup plus introspectif quoique encore très marqué esthétiquement, cette fois-ci par un noir et blanc tranchant au possible. Rusty James (Matt Dillon), chef de bande dans un quartier de Tulsa vit dans l'ombre tutélaire de son frère aîné, le Motorcycle Boy (Mickey Rourke) qui avant lui régnait sur le quartier. Le thème de la famille, central chez Coppola parcourt toute son œuvre et c'est ici à son frère, August, chef de bande dans sa jeunesse, devenu professeur de littérature qu'il rend hommage en raison de la profonde admiration qu'il lui porte. Difficile donc pour le cadet de se faire une place quand sur les murs de la cité est encore inscrit : "Ici règne le Motorcycle Boy". C'est au cours d'une bagarre que Coppola filme comme un hommage à "West Side Story" (Robert Wise en 1961) que le grand frère surgit comme revenu d'entre les morts après plusieurs mois d'absence. Une longue déambulation s'ensuit au cours de laquelle l'aîné sorte d'ectoplasme, revenu de tout à seulement 21 ans intime à son frère de choisir une autre voie que l'impasse dans laquelle l'ont conduit ses années d'errance qui lui ont amèrement fait comprendre la vacuité de l'existence. L'exemple de leur père (Dennis Hopper) ancien avocat perdu dans l'alcool suite à la fugue sans retour de sa femme ne suffisant pas à convaincre Rusty James de s'émanciper de son mimétisme, le Motorcycle Boy illustre son propos devant une vitrine d'animalerie où des combattants du Siam séparés par une vitre se battent avec leur propre reflet. Cette métaphore animalière fort joliment illustrée par les seules images en couleur (rouge et bleu) du film sera reprise dans le titre américain du film: "Rumble Fish". Ce long échange qui s'apparente tout à la fois à un chemin initiatique et à une dérive suicidaire pourrait s'avérer un peu redondant et artificiel s'il n'était en permanence rehaussé par les partis pris esthétiques de Coppola qui à travers l'usage du noir et blanc use de toute sa maestria technique pour surprendre, imprimer sa marque et rendre hommage à différents courants cinématographiques comme l'expressionnisme allemand, le film noir mais aussi à Orson Welles et à Carol Reed ("Le troisième homme"). Les ruptures de rythme sont encore accentuées par la bande originale syncopée et métallique composée par Stewart Copeland, le batteur de Police. Coppola en permanence sur la tangente, frôle à plusieurs reprises le grotesque mais ne s'appesantissant jamais outre mesure, il se rétablit à chaque fois en as de la caméra qu'il était et demeure ("Tetro" et "Twixt"). L'exercice de style est une entreprise périlleuse qui montre souvent les limites de réalisateurs qui se croyant arrivés, estiment pouvoir se suffire à eux-mêmes. Coppola a payé pour le savoir avec "Coup de cœur". Le deuxième essai a été le bon. De leur côté Mickey Rourke et Matt Dillon superbement filmés et beaux comme des demi-dieux ne pouvaient rêver meilleur tremplin pour leurs carrières.