Un jeune homme, Michel Poiccard, Jean-Paul Belmondo, aime une jeune femme, Patricia Franchini, Jean Seberg. Obtusément eperdu d’amour pour elle, il en crèvera. «A bout de souffle» (France, 1959) de Jean-Luc Godard recycle la plus vieille des tragédies, celle des passions amoureuses. De la tragédie antique, Godard emprunte également la figure du dessein dramatique préfiguré par les signes prodromatiques. Comme l’Ajax de Sophocle, Poiccard voit les signes de la mort émailler son quotidien avant qu’il ne décède in fine. Voguant au gré des compositions jazz de Martial Solal et plongé dans un bain de lumière grâce à la photographie ingénieuse de Raoul Coutard, «A bout de souffle» se porte bien, merci, aujourd’hui encore. L’entrain de son montage électrique ne se périclite pas et résiste aux modes. Le regard latent porté sur la France ne perd pas non plus de son actualité. Poiccard, français profond qui aime la campagne et la France, se prend d’amour pour une américaine. Il remet toujours sur le tapis les distinctions entre la France du Vieux Continent et le Nouveau Monde américain. Par là Godard, sans doute, file la métaphore du cinéma, dont l’histoire ne cesse de répéter le dialogue incessant que mènent le cinéma européen (français) et le cinéma états-unien. Plus que le cinéma, c’est une histoire de politique. Le défilé, lors d’une séquence, de De Gaulle et d’Eisenhower, coupés par une saute du montage, atteste la volonté de Godard de traiter des échanges politiques entre France et Etats-Unis. Plutôt que de regarder cette relation à l’échelle des pontes politiques, il la regarde à hauteur des images. Car Poiccard, le Gabin de 59, n’est pas tant le français que son stéréotype. Patricia, elle aussi, a tout de l’archétype américaine, aimant à se comparer aux beautés hollywoodiennes, à Ingrid (Bergman) comme elle aimerait s’appeler. La lassitude entendue par le titre est celle d’une France, d’un cinéma français usé qu’est venu, avec entrain et fougue, revivifier Godard.