"A bout de souffle", tourné en 1959, possède les travers et les qualités d'une première oeuvre. L'impact du film tient en grande partie à la manière dont Godard expose son propos et met en scène le récit, tout en ironisant sur ses emprunts à ses propres souvenirs de cinéphile. En effet, il ne cache nullement d'avoir eu recours à l'allusion, l'hommage, à sa dette personnelle envers certains cinéastes, au point que cette accumulation de signes constitue un véritable document sur la cinéphilie. Alors que cette oeuvre reste un grand moment de cinéma, son auteur l'a jugée comme la plus réactionnaire et la moins réussie de son impressionnante filmographie.
Jean-Paul Belmondo, sa clope aux lèvres, son chapeau de guingois à la Bogart, sa désinvolture, son je-m'en-foutisme, sa lippe, son pouce qu'il passe sur sa bouche comme Humphrey, sa muflerie, est inoubliable dans le rôle de ce Michel Poiccard, petit escroc qui se fait arrêter par un policier, alors qu'il regagne la capitale dans une voiture volée, et le tue sans vergogne, pour continuer sa route et retrouver à Paris une jeune étudiante américaine et le magot d'un précédent hold-up. Quant à Jean Seberg, en étudiante vendant le New York Herald Tribune, est merveilleuse de naturel et de fraîcheur, avec sa coupe de cheveux ultra courte qui fut si souvent imitée. Tous deux sont éblouissants de charme et semblent improviser leur dialogue au fur et à mesure des scènes, avec des temps morts, des silences, des questionnements. La mort surviendra au bout d'une rue étroite pour cette fripouille que Belmondo, par son implication passionnée, parvient à rendre attachante. "Entre le chagrin et le néant, je choisis le néant. Le chagrin est un compromis "- a écrit Godard. A la fin du film, le public, qui a fait de cette réalisation un film-culte, a sans nul doute choisi le chagrin avec Jean Seberg. Après "A bout de souffle", il y eut au cinéma un avant et un après.