Malgré son splendide nom qui rapporte v'là les points au Scrabble, et certainement parce que celui-ci aurait pu en faire encore plus si elle avait poussé le curseur jusqu'à le conclure par un magistral Y, Rebecca Zlotowski ne m'avait jusqu'ici jamais passionné. Euphémisme. Elle personnifiait en fait même à mes yeux jusqu'à il y a quelques mois ce que les défenseurs hardcore du cinéma d'auteur français refusaient d'admettre lorsque les détracteurs du cinéma d'auteur français disaient que "c'est quand même souvent chiant" : un cinéma bourgeois de gauche, passionnant sur le papier et en interview, mais mou du genou, prétentieux et radin à l'écran.
Elle était bien plus douée pour me donner envie de voir ses films, à l'écouter en entretien sur France Inter, que pour me donner ensuite envie de les aimer une fois assis dans la salle, un peu comme Cédric Grolet et ses gâteaux en trompe-l'oeil : c'est super beau, bien fait et ça fait super envie sur Instagram, mais en vrai, mec, t'as coupé une pomme en morceaux, t'en as fait une compote et t'as assemblé le tout dans un moule en forme de pomme ; alors ça donne un truc qui ressemble à s'y méprendre à une pomme et qui a un goût de pomme, ça n'a pas beaucoup d'intérêt frérot.
Voir Rebecca Zlotowski s'attaquer à un sujet me touchant si fort m'intriguait pas mal, dois-je bien l'avouer : comment pourrait-elle, avec cette radinerie qui à mon sens caractérisait son cinéma, faire dire quelque chose à la mise en images de cette si subtile et difficile relation belle-mère - enfant ? Je l'ai vécue, cette relation, alors tu peux pas test : si tu racontes des conneries, ou si ton film sonne faux, alors je serai forcément le premier à le voir, et l'on ne pourra pas me donner tort, ce sera la mise à mort définitive de ton cinéma auprès des quatre personnes sur qui j'ai un pouvoir prescripteur en matière de Septième art (rigolez pas, si j'étais critique aux Inrocks, avec quatre suiveurs, je serais le mec le plus influent du pôle cinoche, limite j'aurais, aux yeux de la rédac et du CNC, pouvoir de vie ou de mort sur les sorties en salles).
Les lumières se sont donc lentement éteintes, et moi rapidement enfoncé dans mon siège pour un immense tourbillon d'émotions de presque deux heures. Mon petit coeur a tenu in extremis, mais c'est parce qu'elle a su en prendre soin, Rebecca Zlotowski, en fait.
La pseudo-radinerie dont je faisais bêtement état dans ses précédents films que j'avais sûrement encore dû mal regarder (ça c'est parce que gamin, pendant que les apprentis cinéphiles découvraient Chaplin et Hitchcock, moi on m'abreuvait de Serge Pénard et de Jean Girault) était en fait de la subtilité. Dans ce film, il était certainement plus facile de la saisir que dans les précédents, tant chaque regard, chaque mot y apparaît comme primordial pour l'incroyable personnage de la belle-maman, campée avec intelligence par Virginie Efira. La confiance qu'elle et la réalisatrice ont en ma compréhension de l'importance de ce qui se joue dans chaque plan, c'est un truc rare et précieux, au cinéma. En faire plus aurait bien entendu été une erreur, piège dans lequel beaucoup seraient sûrement tombés : ils auraient dédramatisé ou bien sorti les violons, en rajoutant des arcs narratifs sexy mais futiles : ils n'auraient ni eu cette confiance en leur sujet, ni cette foi en leur spectateur (ils auraient alors certes probablement en revanche eu des sélections en prestigieux festivals, des César et des milliards d'entrées, mais je vous jure, ce n'est pas grand chose à côté d'une première place dans mon top annuel - vous pouvez tabler sur quatre achats en VOD du film à sa sortie, c'est cadeau c'est pour moi). Car à l'écran, là, sans fioritures, il y a tout de cette incroyable et insolite relation sur un fil ténu, que l'on ne voit pas arriver, et dont on ne sait comment composer avec.
Si le film n'apparaît pas dans beaucoup de tops cinéphiles annuels, c'est que celui-ci me semble avoir été réalisé pour moi. Et donc que forcément, il est excluant pour les autres, qui de fait me jalousent énormément, ce qui explique d'ailleurs sûrement pourquoi on m'a piqué ma place de parking devant la maison.
Immense merci, donc, Rebecca Zlotowski, et désolé pour la mauvaise pub des années passées ; eu égard à mon immense pouvoir de persuasion, celle-ci vous a mathématiquement sûrement fait perdre quatre entrées (j'ai bien conscience que vu l'état actuel du cinéma, chaque entrée compte, vous me transmettrez donc à ce titre votre Rib, je suis prêt à m'affranchir de la somme due, disons 28 €, pour me racheter).