« Belle Epine » possédait déjà une sensibilité là où on ne l’attendait pas. En imposant un compte à rebours déchirant dans « Grand Central », Rebecca Zlotowski s’en tire avec tous les honneurs, contrairement aux cas un peu plus embarrassants, mais loin d’être inintéressants, « Planétarium » et « Une Fille Facile ». Son retour triomphal à Venise confirme cependant que la cinéaste a passé un cap, celui de la maturité et de ces moments de vies qu’on nous a déjà raconté mille fois, mais avec justesse folle. Il est toujours surprenant de nous laisser tenter par une aventure aussi troublante aux côtés d’une femme, qui a longtemps refusé la maternité et dont l’indépendance semble toucher à sa fin. La beauté du geste consiste ainsi à dupliquer le plaisir de vivre chez elle, d’une manière aussi verbeuse que déchirante.
Ce n’est donc pas une surprise de voir le film démarrer sur une projection silencieuse des « Liaisons Dangereuses », car Rachel (Virginie Efira) devra faire face à la réalité et à des choix qui ont autant leurs conséquences dans le passé que dans le présent. L’institutrice surfe ainsi sur la même vague tout le long d’une intrigue, entourée d’une jeunesse qui a l’âge de bouder et de se révolter. Mais son idylle avec Ali (Roschdy Zem) la pousse à croire en un fantasme, jusqu’à ce qu’elle en vienne à confronter cette fameuse question de la maternité, sous l’angle de la belle-mère. Cette figure souvent caricaturale, et placée au second-plan, devient le sujet principal qui se greffe à Rachel, perdue dans sa volonté d’appartenir à un ensemble, fait de pains et de fromage. Son élan est malheureusement sabordé par l’opinion du passé, qui ramène ainsi la jeune Leila (Callie Ferreira-Goncalves) à jongler entre deux visages, l’une plus familière, l’autre plus éphémère.
En cela, la narration prend la forme de diverses confessions, les épouse et les catapulte dans des histoires de famille, à différentes étapes de leur maturité. Entre celles qui sont déjà mères et celles qui sont enceintes, Rachel analyse peu à peu sa présence sur son entourage. Quelques fois un fantôme dans ses relations, quelques fois convaincu de sa substitution, ce personnage est toujours au soin d’une écriture admirable, ne laissant jamais la rivalité féminine rendre le dessus. Zlotowski en comprend les enjeux et les manie avec une grande sagesse et une intelligence, qui ne renouvelle pas la banalité du pitch, mais qui s’approprie fièrement la lutte personnelle d’une femme d’âge mûr, à dépasser la vie de couple, la rendant ainsi plus radieuse que jamais.
C’est dans cet esprit de clairvoyance que la transmission a son importance. L’héroïne étant proche de ses élèves, surtout les plus démunis pour trouver la stabilité, il y a un plaisir réconfortant de voir que la plupart de ses efforts puissent se convertir, au moins dans la mémoire. « Les Enfants des autres » n’a peut-être rien à réinventer dans un portrait sociologique de familles recomposées, pourtant l’œuvre se démarque via sa démarche audacieuse et empreint de dignité, comme on en voit peu sur le sujet. L’histoire de Rachel sonde ainsi, et par-dessus tout, ce confort de vie, libre et sans concessions, jusqu’à la garde et jusqu’au triomphe de sa propre maternité.