Le travail ou les affects
L’apollonide, Saint-Laurent, Nocturama… le cinéma de Bertrand Bonello ne laisse jamais indifférent. Mais, avec ces 146 minutes, il atteint des sommets dans l’abstraction et l’intellectualisation. Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s'en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'une catastrophe se prépare. Un film esthétiquement magnifique, mais qui reste difficile voire abscons par moments, et qui prend le risque de laisser beaucoup de spectateurs sur le bord de la route. Une œuvre qui appelle le débat.
Le film adapte le court roman d'Henry James, La Bête dans la jungle, paru en 1903 – une époque où, a priori, on parlait peu d’IA -. C’est vois dire si ladite adaptation est plus que libre, même si les dialogues – un tantinet ampoulés -, de la longue 1ère scène de bal, sont tous empruntés à l’auteur américain. Cette quasi-dystopie pose un dilemme atroce, vers lequel nous nous dirigeons peut-être, dans une société de plus en plus contrôlée. Même si une partie de l’intrigue se situe en 2044, le cinéaste a tenu à éviter à la fois l’ultra-technologisme et le post apocalyptique. L’évolution du monde proposée est beaucoup plus comportementale et idéologique, à la fois apaisante en apparence mais terrifiante dans le fond. La 1ère partie du récit se déroule à Paris en 1910, ce qui a permis au réalisateur d’intégrer la menace de la grande crue historique, ce qui de mémoire, n’avait jamais été exploité. Au centre de la seconde partie, en 2014, le personnage de Louis a été inspiré par un tueur en série américain. Enfin, concept des concepts, je vous laisse découvrir le générique de fin, unique en son genre, qui met un point d’orgue dans le ton du film qui nous dit que nous sommes dans un monde où les affects ont été bannis, il est donc logique qu’ils le soient aussi du générique…
Léa Seydoux est la grande attraction de ce film. Une actrice qui a une sorte de mystère qui nous empêche à chaque instant de savoir quels sont ses sentiments profonds. Ce film a été pensé et écrit pour Gaspard Ulliel. C’est donc George MacKay, découvert dans le 1917 de de Sam Mendès, qui campe avec beaucoup de grâce et talent le personnage de Louis. Citons encore Guslagie Malanda, Nasha Nekrasova et Xavier Dolan – coproducteur du film -, pour la voix du recruteur. Bref, un couple vedette à la hauteur des ambitions de ce drame atypique dont la parenté avec un David Lynch – tout de même un peu assagi -, est frappante. Hypnotique pour les fans, labyrinthique et boursouflé pour les autres. Et vous ?