Atypique.
Il faut passer les quelques premières minutes assourdissantes pour s’installer dans une œuvre décalée et dense (très dense), sans fil ostensible mais qui contient en elle sa propre logique, comme le sont souvent les œuvres absurdes au premier regard.
« Tu as déjà vu un professeur d’université descendre sa rue à la rame dans les inondations à la télé ? »
La réalisation d’apparence classique, reprenant les codes jusqu’à la caricature drolatique des sitcoms et films de catastrophe, d’horreur et du thriller, est redoutablement efficace dans ses prises de vues tantôt saccadées, tantôt jouant sur le flou, tantôt encore en travellings vertigineux pour saisir la captation du moindre mouvement du visage. Portée par une musique hétéroclite, épousant le type de tension narrative du moment, l’interprétation est impressionnante de justesse. Ainsi, le double monologue croisé servi par Adam Driver et Don Cheadle est un pur chef d’oeuvre de jeu de la part du premier, acteur caméléon s’il en est, petit prof d’université ventripotent, transfiguré quand il raconte Hitler à ses étudiants. Greta Gerwig n’est pas en reste, qui lui donne la réplique, notamment dans la touchante et très réaliste scène de l’aveu.
White Noise est une oeuvre résolument atypique, film catastrophe burlesque dont l’action se situe dans les années ‘80, qui embarque une famille recomposée d’intellos dont les parents sont la parfaite représentation de candides voltairiens soumis aux questions et remarques parfois acides de leurs enfants. Malgré le décalage d’époque, les préoccupations sociétales actuelles sont passées au crible : complotisme, pollution, condition animale, possession d’armes, survivalisme, addiction aux médicaments, société de surconsommation (la double parabole du caddie) comme autant de sujets devenus intemporels, traités sur le ton de l’humour acerbe ou grotesque mais aussi de manière très fine.
White Noise est aussi une comédie philosophique assez verbeuse qui n’est pas sans rappeler deux phares ayant rayonné sur les années ‘80 : Woody Allen et John Irving, chacun décortiquant la société américaine à sa façon. Le film génère ainsi son style propre, inclassable, comme un hommage à une période où une très brève insouciance triomphante allait devoir faire face au principe de réalité, une réalité patchwork comme peut l’être une tranche de vie, parcourue de ses drames et de ses joies éphémères ainsi que de l’angoisse de la mort et de l’irrationalité de nos comportements face à cette angoisse.
White Noise est enfin une œuvre intelligente et sensible, une fois passés les moments d’humour noir ou burlesque. Une certaine image de la vie d’Américains moyens, profondément humains, pris dans la tourmente d’une catastrophe qui bouleverse leur quotidien avant de laisser place à ses conséquences quand tout retourne à la normale. On pourrait ainsi faire le parallèle avec l’épidémie de covid qui a chamboulé nos existences durant près de deux ans avant d’être quasiment oubliée, comme un cauchemar qui s’évanouit au petit matin… ne laissant de traces que refoulées.