Le Sixième enfant est adapté du roman Pleurer des rivières écrit par Alain Jaspard. Ce dernier a trouvé son inspiration après avoir eu connaissance d'un fait divers dans lequel un couple de gitans a vendu l'un de ses enfants à un autre couple de gitans en échange d'une BM et de 10 000 euros.
Le metteur en scène Léopold Legrand, qui a été adopté devant la loi par la nouvelle femme de son père après le décès de sa mère (survenu quand il avait six ans), se rappelle :
"Cette femme est devenue ma deuxième mère. J’ai donc grandi avec une double figure maternelle. L’histoire de ces deux femmes réunies autour d’un seul et même enfant m’a donc intrigué. En refermant le roman, j’étais très ému par les trajectoires de Meriem et Anna."
Léopold Legrand a rencontré des communautés de gens du voyage lors de l’écriture du scénario. Le cinéaste est d’abord allé au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, où il a fait la rencontre de Nathalie Meyer, une femme Yéniche originaire d’Alsace :
"J’ai passé un moment avec elle dans le camping où elle séjournait avec sa famille, je lui ai raconté mon projet de film et elle m’a ensuite accompagné tout au long de sa réalisation. J’ai d’ailleurs donné son nom de famille aux personnages de Meriem et Franck, en souvenir de cette première rencontre."
"J’ai aussi travaillé avec les membres de l’Association des Gens du Voyage de l’Essonne, qui m’ont emmené sur différents terrains familiaux et aires d’accueil, à la rencontre de familles, sédentarisées ou non, pour que je puisse mettre mon histoire à l’épreuve de leurs vies."
"En préparation, je suis retourné sur les terrains avec l’équipe technique et les comédiens. Nous y avons fait du casting et des repérages. Tout cela en gardant toujours à l’esprit que je ne réalisais pas un documentaire sur cette communauté", se remémore-t-il.
La filiation, la maternité et l’abandon sont des thématiques auxquelles Léopold Legrand est très sensible. Les deux courts métrages qu'il a réalisés lors de ses études à l’INSAS les abordaient déjà : Angelika était un portrait documentaire d’une enfant de l’assistance publique polonaise et Les Yeux fermés une fiction sur un jeune apnéiste qui accompagne sa mère mourante.
Les décors choisis appuient le contraste entre les personnages : d'un côté il y a un couple d’avocats bobos et leur appartement parisien cosy, et de l’autre un ferrailleur et sa femme qui vivent dans une caravane sur un terrain à Aubervilliers. Léopold Legrand précise :
"Partant de là, j’ai essayé de peindre ces deux univers avec justesse, en m’inspirant du réel, en recherchant la crédibilité à tout prix."
"Ce film raconte clairement la rencontre de deux mondes très distincts, qui se fréquentent peu, mais, avec le chef-opérateur Julien Ramirez Hernan, le décorateur Florian Sanson, la costumière Elsa Bourdin, la maquilleuse Bilytis Barabas, la coiffeuse Jane Brizard, nous avons essayé de dire cette rencontre sans la caricaturer, sans misérabilisme et sans pathos."
L'image est composée de tons chauds et Léopold Legrand a tourné plusieurs séquences de nuit. Le metteur en scène voulait que l'esthétique du film lorgne plus du côté du romanesque que du social. Il a ainsi opté pour une image stylisée qui lui semblait intéressante pour dialoguer avec des décors ultraréalistes :
"J’aime aussi l’idée de faire exister les choses par le hors-champ, d’où le choix du format 1.5, un format photo qui resserre le cadre sur les personnages, façon portrait, et laisse la place au son pour raconter le monde autour", confie-t-il.
Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe avaient déjà joué ensemble dans Le Discours de Laurent Tirard.
Avec Simon Poupard, le monteur son, et Pierre-Jean Labrusse, le mixeur, Léopold Legrand a cherché l’équilibre entre réalisme et onirisme, en s'appuyant d’abord sur les sons réalistes qu’imposaient les décors et les situations. Le réalisateur se souvient :
"Nous avons ensuite travaillé des sons exogènes, parfois osés, qui densifient les séquences et tentent d’emmener le spectateur vers l’émotion souhaitée. J’avais imaginé ce film comme un tunnel qui nous embarque progressivement vers le drame."
"La bande-son participe donc de ce mouvement. Plus l’étau se resserre, plus le dénouement approche, et plus on va vers une forme d’épure. Les dialogues sont de moins en moins nombreux au fil des minutes qui passent et les ambiances chargées du début disparaissent pour laisser place au silence."
Pour la séquence de l’accouchement, Léopold Legrand a essayé de mettre en scène la naissance de cet enfant comme un moment hors du temps, alors que tout ce qui précède est construit autour de l’engrenage. Il précise :
"Tous les enjeux convergent vers cette scène, mais je souhaitais un climax qui se joue en douceur, dans le regard des quatre personnages principaux. C’est finalement plus une séquence de portraits qu’une séquence d’accouchement à proprement parler, même si les plans de l’arrivée du bébé sont issus d’un véritable accouchement : nous les avons tournés en mode documentaire en amont du tournage."
Le récit est mené tambour battant et contient de nombreuses ellipses. Léopold Legrand voulait raconter cette histoire intime de manière haletante : puisque les personnages agissent dans la hâte, le réalisateur a fait en sorte que le film revête ce même caractère d’urgence dans son rythme et sa dramaturgie.
"Avec Catherine Paillé, ma coscénariste, puis avec Catherine Schwartz, ma monteuse, nous avons construit le film comme un « thriller social ». Nous avons imaginé une narration faite d’ellipses et travaillé autour de la question du hors-champ."
"Tout ce qu’on ne dit pas et qu’on ne montre pas ajoute à la tension du récit, permet de rendre le spectateur actif et de le mettre en empathie avec les personnages. C’est là tout l’enjeu de cette histoire."