Franck (Damien Bonnard) est ferrailleur. Sa femme, Meriem (Judith Chemla) et lui sont gitans et vivent avec leurs cinq enfants dans une caravane en Seine-Saint-Denis au milieu d’un camp sordide et surpeuplé. Julien (Benjamin Lavernhe), un avocat, lui évite la prison après l’accident qui détruit son camion et provoque son arrestation. À cette occasion Franck et Meriem rencontrent Julien et sa femme, Anna, une avocate elle aussi, rongée par le désir d’enfant. Le couple, qui attend leur sixième enfant, propose aux jeunes bobos un marché simple quoiqu’illégal : leur enfant à naître en échange de l’effacement de leurs dettes et du rachat d’un nouveau camion.
Le premier film de Léopold Legrand, remarquable de maîtrise, repose sur une idée qui peut sembler tirée par les cheveux mais qui, une fois qu’on l’a admise, entraîne les conséquences en série des meilleurs films des frères Dardenne. Il est remarquablement servi par un quatuor d’acteurs dont chacun des personnages possède une épaisseur et une complexité qu’on trouve rarement. Damien Bonnard est sans doute le plus impressionnant, dans le rôle très physique du pilier de famille obligé, pour protéger les siens, de mettre un mouchoir sur ses valeurs. Judith Chemla est la plus ambiguë dont on se demandera jusqu’au bout si son inhumanité apparente est un antidote à la douleur que lui causera la séparation d’avec son enfant. Mais c’est Sara Giraudeau qui est la plus étonnante. Sa voix de crécelle en irrite beaucoup. Mais, si on passe par-dessus, on ne pourra que saluer la maîtrise avec laquelle elle joue cette femme à qui l’obsession de la maternité fait perdre pied. Dans ce quatuor, Benjamin Lavernhe, tout sociétaire de la Comédie-française qu’il est, est le maillon faible, avec le rôle le plus ingrat.
Comme avec les scénarios des frères Dardenne, celui co-écrit par Léopold Legrand, d’après le livre d’Alain Jaspard "Pleurer des rivières" a le mérite de compter bien des bifurcations et de nous réserver bien des surprises. On ne s’ennuie pas une seule seconde. On est ému de bout en bout. La fin du film est étonnante. Tout bien considéré, elle est la plus logique qui soit. Elle réussit à ne pas être moralisatrice sans être immorale.