Le pacte insensé
Pour son 1er film, Léopold Legrand a choisi de nous parler de filiation, de maternité et d’abandon. Lourds sujets, mais un choix qu’on comprend mieux quand on sait qu’il a été adopté devant la loi par la nouvelle femme de son père après le décès de sa mère, survenu quand il avait six ans. Franck, ferrailleur, et Meriem ont cinq enfants, un sixième en route, et de sérieux problèmes d’argent. Julien et Anna sont avocats et n’arrivent pas à avoir d’enfant. C’est l’histoire d’un impensable arrangement. 92 minutes magnifiques de justesse et de sobriété. Un polar de l’âme qui touche au plus profond de nos sentiments.
Ce film, adapté du roman Pleurer des rivières écrit par Alain Jaspard qui a coécrit le scénario, évite l’écueil de la caricature et du pathos. Pourtant, sur le papier, on nage en plein manichéisme. Mais grâce à une écriture – scénario justement primé au Festival d’Angoulême -, millimétrée, refusant tout effet superflu, l’histoire se déroule devant nous, implacable et bouleversante. On croit en chacun des personnages et à l’enchaînement des faits. Il faut ajouter que le contraste entre les deux univers – le camp de gitans et l’appartement cosy du couple d’avocats – est d’une parfaite crédibilité. Pourtant la mise en scène tire plus vers le romanesque qua vers le social… et c’est de toute évidence une volonté du réalisateur. Le choix du format 1.5, un format photo qui resserre le cadre sur les personnages, façon portrait, et qui laisse la place au son pour raconter le monde autour est, là aussi, parfaitement justifié. Tout comme le casting somptueux qui nous est offert dans ce drame magnifique qu’il faut absolument voir.
J’ai cité plus haut un des 4 prix obtenus à Angoulême, car il faut y ajouter le Prix du Public, le Prix de la musique de film et le double trophée pour Sara Giraudeau et Judith Chemla, parfaites toutes les deux. Benjamin Lavernhe et Damien Bonnard, côté hommes, sont eux aussi exemplaires. Voilà une sorte de thriller social qui tient toutes ses promesses. Il marque la naissance d’un excellent cinéaste dont on suivra avec le plus grand intérêt les prochains films. Ce film ose traiter sans heurt ce que le Code civil qualifie de trafic d’êtres humains et que d’autres définiront comme un geste d’amour. Le débat est ouvert. Pour y participer en connaissance de cause, allez voir ce beau moment de cinéma.