À côté de la misanthropie de Dogville, Melancholia ferait presque l'effet d'un conte pour enfant - non que je veuille diminuer l'impact de ce dernier. Cela, je crois, pose assez bien l'incroyable panorama anthropologique que propose ce Lars Von Trier, toujours aussi extrême dans le regard qu'il dévoile. Dans la possibilité du pardon ou celle de la violence perçue comme punitive ou éducative, ce Dogville est carrément un appel implacable à assumer, pour qui est supérieur aux masses qui dégoûtent le danois, la réalité de cette supériorité. Assez nietzschéen, en fin de compte, ce film totalitaire prône l'avènement du surhomme, le rejet de l'humanité comme une vertu également partagée entre tous et la nécessité d'une hiérarchisation dans les rapports humains qui sinon dégénèrent dans un nivellement par le bas vers la pure animalité, tout juste recouverte d'un vernis social craquelé. Si Von Trier est incroyablement stimulant, c'est parce qu'il navigue quelque part entre la caricature et une troublante impression de vérité, qu'il arrive, dans ce récit nauséeux, à provoquer un dégoût qui s'étend sans problème jusqu'à toute certitude prémâchée sur l'humain. Je suis assez impressionné par le culot du bonhomme, autant que je suis surpris de voir qu'une pluie de moralistes ne lui soit pas tombé sur la tête pour Dogville, quand Antichrist aura par la suite déchaîné les passions de façon disproportionnée. La preuve, sans doute, que beaucoup passent à côté de l'essence des films de Lars Von Trier et ce qu'ils disent vraiment de la personnalité du danois, puisqu'ils leur faut une violence organique poussée à l'extrême pour saisir pleinement celle du propos lui-même. Ici, il faut dire que Von Trier détourne superbement l'attention au moyen de son emballage formel, à nouveau d'une inventivité rare. Bien plus qu'un gadget marketing ou qu'un argument de vente, l'originalité de ce décor éventré et éventé tient en ce qu'il révèle de lui-même l'évidence des tares de ses personnages, déjà exposées au grand-jour avant même d'avoir éclaté. À la lumière d'un éclairage cruel et artificiel, privé de contours, réduit au humains et aux démarcations futiles qu'ils prétendent les séparer, Dogville est un lieu où nulle beauté ne prétend vainement cacher l'évidence : nous sommes tous des chiens, et quand viendra le bon catalyseur, nous nous révélerons comme tels. Sans concession, noir, inventif. Du Von Trier dans le texte.