L'approche théâtrale de Lars von Trier déroute dans un premier temps, ce qui n'est pas pour déplaire aux vieux routards du cinéma que nous sommes, habitués à des réalisations plus conventionnelles. L'absence quasi-totale de décor est compensée par une voix-off aux phrases bien ciselées, par quelques effets de lumière, par des fumigènes à un moment donné et enfin par une magnifique bande-son. Cette dernière est certes en décalage totale avec l'époque dont il est question, les années 30, mais elle contribue largement à susciter de l'émotion. Le jeu des acteurs, valorisé par ces conditions minimalistes, n'en a que plus de force. Comment ne pas tomber sous le charme de Nicole Kidman, bouleversante ? Comment ne pas être fasciné par le personnage incarné par Paul Bettany, une sorte de Lucifer portant le masque d'un ange ? La qualité de l'interprétation des uns et des autres était une condition sine qua non à la réussite du film, les plans rapprochés étant forcément légion. La fin du film, certes ultra-prévisible, est de très loin l'atout numéro un de "Dogville". Lars von Trier fait monter à merveille l'intensité dramatique jusqu'au dénouement final. Du coup l'impression finale est largement positive, bien qu'elle soit gâchée par un générique en décalage total avec le reste du film. Cela dit, les 2h40 précédant cette fin magnifique n'en restent pas moins soporifique. L'action se déroule à deux à l'heure. Les petits dialogues à la con du genre "Bonjour Madame Machin, ô que vos plantes sont belles, il faut chaud aujourd'hui non ?" lassent au bout de cinq minutes à peine. D'autant que l'intrigue est finalement aussi pauvre que les décors, et malheureusement trop prévisible. Le côté volontairement larmoyant ne joue pas non plus en faveur de "Dogville". Les malheurs de Sophie, ou plutôt de Grace, finissent par devenir drôles tellement Lars von Trier force le trait. La petite Cosette à côté, elle est moulue, c'est dire. Voir ce village de ploucs se rouler dans la fange ne provoque pas vraiment l'orgasme cinématographique du spectateur, à moins bien sûr d'être un peu masochiste. Et on ne peut pas compter sur la réalisation pour tromper l'ennui. Lars von trier, malgré son ingéniosité, est pris à son propre piège. Il dispose de très peu de cartes en main, ayant opté pour un choix théâtral. Une fois qu'il nous a livré une vue verticale plongeante, quelques effets de lumière et deux trois bruitages, il n'a plus rien à nous proposé. L'histoire se passe dans les années 30, mais à part la traction avant des gangsters rien ne nous met dans cette ambiance. Si au début on essaie de reproduire mentalement l'image d'un village de l'Amérique profonde, on lâche vite prise, l'imagination humaine a tout de même des limites. Même si par la méthode Coué on essaie de voir une maison là où il y a un carré blanc, au bout d'un moment c'est peine perdue. Voilà pourquoi "Dogville" est pour moi une déception malgré des qualités évidentes, voilà pourquoi je n'ai absolument aucune envie de le revoir un jour.