Se retrouve comme fil d’Ariane dans le petit cinéma de Nicolas Bedos la thématique du faux-semblant et de l’imposture, appliquée dans Mascarade, de loin son meilleur film, aux codes du polar et de la comédie de mœurs. Soit une défilade de personnages qui, chacun à sa manière, remettent en question leur identité ou jouent avec cette dernière de manière consciente ou non, voulue ou non : un gigolo s’improvise auteur et devient l’amant d’une belle et farouche séductrice, jusqu’à se substituer au père absent ; une actrice cultive sa gloire passée qu’elle échoue en partie à actualiser – preuve à l’appui, personne ne semble la reconnaître lorsqu’elle s’aventure dehors – et s’entoure d’écrans et d’images susceptibles de la rajeunir le temps d’une projection ; un promoteur immobilier marié tombe sous le charme d’une Anglaise expatriée en France et redécouvre la jouissance d’aimer, etc. Tous, parce qu’ils sont acteurs et qu’ils essaient de maîtriser le désir de l’autre pour parvenir à leurs fins, se font manipulateurs et manipulés, selon la dynamique arroseur-arrosé bien connue.
La clausule pousse ce jeu dans ses retranchements en additionnant les retournements de situation tout à la fois grotesques, maladroits et faciles, à la limite de la misogynie quand il s’agit de peindre la femme fatale et ses regards brûlants en direction de son associée, suivant la confusion que l’indépendance est synonyme, pour la gent féminine, d’exploitation du masculin. En dépit de cette provocation polémique qui oppose une fois encore Bedos à son temps – puisque Margot est à l’origine des coups reçus, qu’elle joue avec l’image de la femme battue, exigeant de son amant une violence qu’il lui refuse pourtant –, le long métrage surprend par une densité narrative toujours compréhensible, fort de personnages bien écrits et bien interprétés. Nicolas Bedos aime ses actrices et ses acteurs, les filme magnifiquement, et compose une œuvre dans laquelle la mise en abyme est constante : il suffit de voir le montage parallèle entre les demandes officielles ou les repas en famille tantôt strictement théâtraux (devant public) tantôt théâtraux par l’interprétation de rôles définis (dans l’espace privé), pour saisir l’envie du réalisateur d’incarner à l’image la duplicité thématique. Le plan sur l’actrice se regardant dans la glace et y percevant, comme par enchantement, une salle comble n’est pas sans rappeler l’obsession du paraître qui anime la marquise de Merteuil dans le roman de Laclos ou, plus précisément encore, dans l’adaptation cinématographique qu’en a faite Stephen Frears (Dangerous Liaisons, 1988).
À la différence près que la déchéance publique mute ici en déchéance privée, inscrite dans l’espace de l’appartement ou de la maison qui reflètent des intériorités meurtries, spectrales et absentes à elles-mêmes : la villa de Martha ressemble à un manoir hanté que n’éclaire aucune lumière naturelle, le studio délabré dans lequel vivent Margot et sa fille révèlent l’état transitoire d’un duo mystérieux dont la vie est sujette à fictions, la maison bourgeoise de Simon évolue en appartement luxueux, ouvert aux corruptions d’abord refusées. Cette topographie symbolique se retrouve dans le cadre géographique : la Côte-d’Azur est choisie pour sa valeur de boule à facettes, de kaléidoscope réfléchissant des paraîtres dépourvus de vérité et de profondeur qui cachent, autant que possible, la très grande violence et verbale et physique. En cela, Mascarade va plus loin dans la noirceur tonale qui caractérise nombre d’œuvres européennes et américaines réalisées sous le soleil du Sud de la France telles que To Catch a Thief (Alfred Hitchcock, 1955), Bedtime Story (Ralph Levy, 1964) et ses réadaptations ultérieures (Dirty Rotten Scoundrels réalisé par Frank Oz en 1988 et The Hustle par Chris Addison en 2019), Mélodie en sous-sol (Henri Verneuil, 1963) ou encore Just a Gigolo (Olivier Baroux, 2019). À voir.