« Dans un monde où penser se réduit si souvent à cocher des cases, et où l’accueil du singulier est de plus en plus écrasé, il y a encore des lieux qui ne cèdent pas, qui tentent de maintenir vivante la fonction poétique de l’homme et du langage…
Cette inscription finale, du film de Nicolas Philibert « Sur l’Adamant » résonne comme une profession de foi…L’Adamant, c‘est un vaisseau à quai, une péniche ancrée à l’écart des klaxons et de l’agitation urbaine, entre la grande horloge de la gare de Lyon et le clapot de la Seine qui lèche gentiment sa coque. Un lieu superbe que l’on doit à Gérard Ronzatti, architecte de l’agence Seine Design, qui en est le concepteur… L’Adamant est un centre de jour dépendant de l’hôpital Saint Maurice, ouvert aux Parisiens des arrondissements du centre, atteints de troubles psychiques. On s’y confie, on y converse, on y cultive des relations humaines dans le cadre d’ateliers inspirés par la psychothérapie institutionnelle…Une nef des fous ?? le rapprochement est un peu facile…alors ces « fous », ils sont si drôles, si souvent lucides, si créatifs…Leur inspiration est stimulée sur ce bateau où les patients viennent librement discuter avec des psychiatres et des thérapeutes, prendre un café, dessiner, composer, parler cinéma… L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie… La caméra s’attarde sur des visages fatigués, des bouches édentées, des regards interrogatifs…Nicolas Philibert a posé plusieurs mois durant sa caméra, pour donner à voir la vie quotidienne à bord : l’ouverture des volets en bois au petit matin, l’affluence à la cafétéria autogérée, les comptes du bar, les ateliers musique, danse, dessins, auxquelles assistent les patients, mais surtout Philibert filme les gens en portrait, de face, laisse advenir leurs paroles, des paroles parfois empêchées, dans des corps aux fonctions compliquées par les diverses pathologies qui les affectent. Il y a une femme très bavarde, et qui regrette ses amis d’antan, il y a un homme très chic à la voix caverneuse persuadé d’être issu d’une lignée d’artistes qui va de Van Gogh à Jim Morisson, il y a un jeune homme pétri d’angoisses qui explique comment il associe ses pensées à des objets, ou encore cet homme qui parle de ces voix qui lui intiment de faire des choses, et qui ripostent s’il ne les fait pas. Comme souvent dans le documentaire la beauté jaillit de la surprise, de cet instant imprévu où il se passe quelque chose. Qui est patient, qui est psychiatre ?? Toutefois on se gardera de trop tomber dans cette vision bienveillante, lénifiante de la « différence » popularisée ailleurs….dans la scène finale, une patiente se révolte…Elle sait danser, elle pratique le Qi Gong…elle veut transmettre son art, déverrouiller les corps endoloris…en quelque sorte devenir thérapeute à son tour…et là ça bloque…les visages des soignants se ferment, d’aucuns reconnaissent une certaine « frilosité »…L’empathie affichée ne serait ce donc qu’une manière douce de conserver le pouvoir sur ces « fous » ?? Le film se termine sur cette interrogation… Le film a séduit le jury de la Berlinale puisqu’il y a remporté l’Ours d’Or...