J’ai voulu allé voir « Goutte d’Or », de Clément Cogitore au Louxor, d’une part parce que le Louxor, est un superbe bâtiment Art déco, inscrit au titre des monuments historiques en 1981, et superbement restauré par la Mairie de Paris, pour être réouvert au public il y a dix ans, d’autre part, parce que je me doutais bien, qu’à peine sorti du métro, je me retrouvais plongé dans l’ambiance du film… Je connais peu Clément Cogitore, n’ayant pas vu les « Indes Galantes » , par contre j’avais vu comme acteur dans le superbe film d’ Eugène Green « La Sapienza » …j’avais aussi vu « Braguino » documentaire sur une famille membre des vieux croyants orthodoxes, qui se sont enfoncés dans la forêt sibérienne pour échapper à l’autorité de l’église et de l’état…C’était original…
Dans « Goutte d’Or », Ramsès (Karim Leklou) est mage dans le quartier, il est lui-même fils de marabout. Ses rabatteurs appâtent les clients à la sortie du métro Barbés avec ces petits papiers qui vantent ses dons…Il passe pour bon et son entreprise ne connait pas la crise , mais suscite l’ire des autres marabouts du quartier qui voient leur clientèle partir chez lui…Ramsès est loin d’être mage, c’est un petit escroc qui exploite la crédulité des gens à travers un dispositif astucieux. Les visiteurs sont invités à se dépouiller de leurs bijoux, téléphone ( à cause du magnétisme leur précise-t-on) ..comme dans un portique de sécurité…Pendant que le visiteur attend, la photo du disparu à la main, Ramsès va discrètement consulté le téléphone, dont le code a été relevé par un complice dans la salle d’attente…et à travers mails, photos…il puise des détails essentiels qui persuadera le visiteur de son l’extra-lucidité …comme quoi, chacun d’entre nous se construit une identité numérique sur les réseaux qu’il devient facile de découvrir…
Ramsès a été repéré par une bande de mineurs marocains, référence à ces mineurs marocains isolés, balbutiant le français, accros à la colle et auteurs de menus larcins, qui ont fait leur réapparition square Alain-Bashung, mais aussi dans le 10e et le 19e…Ils sont à la recherche d’un camarade disparu et pense que le mage pourra le retrouver…ils font irruption chez Ramsès, d’autant plus que les échafaudages installés sur son immeuble permettent à ces jeunes d'entrer facilement … Comment finira-t-il par le retrouver, mort sur un tas de gravats d’un chantier voisin…on ne le sait pas, est-ce la seule vision qu’il aura finalement eu ?? Au spectateur d’en décider …
Clément Cogitore ne lésine pas sur les émotions. Il montre le pire que ces quartiers populaires peuvent contenir. Le crime sordide, la manipulation criminelle, le mensonge, le communautarisme délétère hantent les relations sociales, dans des appartements sales, désordonnés, quand il ne s’agit pas des longues incursions nocturnes dans la rue.
Mais peut-être Clément Cogitore en fait trop dans la sinistrose sociale. La fiction hésite entre la description sociologique, le policier et même le fantastique. En effet, brutalement, sans raison, l’histoire plonge dans une sorte de fable mystique qui met en scène ces affreux petits vauriens des rues, un père vieillissant un peu magicien, et des habitants crédules. Il y a donc quelque chose très gênant dans la mise en scène, brouillonne, un peu étouffante, caméra à l’épaule, plans serrés… qui ne permet plus au spectateur d’éprouver une quelconque empathie à l’égard des personnages. Avec l’incursion des « sauvageons », le récit devient un peu confus, au risque de l’invraisemblance.
Mais s’il y a une chose à retenir de ce long-métrage, c’est l’interprétation flamboyante de Karim Leklou. L’acteur passe du français à l’arabe avec une facilité déconcertante. Il joue avec ses rondeurs, ses maladresses, sa bonhomie dans un rôle complexe entre fascination, antipathie et compassion, alliant magnétisme et inquiétante étrangeté. Il en faut pour porter ce récit d’un quotidien décalé vers le mysticisme .