Jérémie Guez a entendu parler du "kanun" très jeune via un reportage radio. Par ailleurs, le cinéaste se rendait souvent à Anvers pour rendre visite à l’un de ses meilleurs amis qui a beaucoup de connaissances albanaises. Il explique :
"Il y a une vraie communauté albanaise au Benelux et en Suisse, mais c’est une communauté dont on ne parle pas beaucoup. La manière dont le cinéma de genre s’empare des Balkans est souvent très caricaturale et ça m’agace."
"C’est une zone à la fois très proche de chez nous et très exotique, qui représente plus ou moins la frontière de l’Europe avec l’Asie mineure. C’est une culture des montagnes, c’est un peu notre Caucase ouest-européen..."
"Je trouve ces cultures et ces langues très intéressantes. Et l’histoire de toute l’ex-Yougoslavie m’a toujours fasciné depuis l’adolescence. L’Albanie a été le seul territoire juste de la zone pendant la Seconde Guerre mondiale. "
"Par exemple, c’est un peuple qui a caché et protégé beaucoup de Juifs. Le pays est par ailleurs majoritairement musulman... : c’est une culture que j’aime et dont je suis curieux. Le « kanun » est comme un code civil dans le pays."
"La vengeance ne représente que trois ou quatre pages de ce code. Et ce qui est le point de départ de l’histoire de mon film ne représente pas le « kanun » de tradition. C’est l’extrapolation mafieuse d’un code civil minutieux..."
Jérémie Guez a choisi de situer le film à Bruxelles, cadre idéal pour raconter une histoire d’amour entre un jeune Albanais et une jeune Turque. Le réalisateur précise : "J’ai parfois l’impression que le cinéma s’intéresse trop aux sujets de société – si bien que lorsque je vais voir un film, je me sens comme devant un journal télévisé."
"Je voulais aller à l’encontre de l’approche classique qui serait d’évoquer les enfants d’immigrés. Dans mon film, Sema est étudiante aux Beaux-Arts, Lorik fait des conneries et aucun d’eux n’est né en Belgique – ça, ça me plaisait. Kanun, c’est leur histoire : celle de deux jeunes étrangers, un peu déracinés, qui se trouvent en occident."
Waël Sersoub avait déjà tourné pour Jérémie Guez dans Sons of Philadelphia, un film de gangsters sombre avec Matthias Schoenaerts, Joel Kinnaman et Maika Monroe. Il y campait un boxeur extrêmement menaçant le temps d'une scène. "Il a une grande intensité physique, il est très imposant. Et en même temps, il a quelque chose d’assez enfantin", note le metteur en scène.
"La liberté dont je vous parle, c’était aussi celle de filmer un quartier que personne n’a jamais filmé. Personne n’est rentré dans les vitrines du quartier rouge ni n’a eu accès à cette communauté comme moi j’y ai eu accès."
"Cela correspond à une période de ma vie où j’avais envie de faire autre chose, peut-être à rebours de ce que les gens pouvaient et peuvent toujours attendre. Ce n’est pas un film à sujet : ce n’est pas « Kanun : fait de société » ni un « film qui parle de l’immigration »."
"C’est un film de cinéma, avec des personnages-silhouettes, un peu à la Jean-Pierre Melville, créés en fantasmant des hommes et des femmes que je connais dans la vie."
Autour des comédiens, Jérémie Guez a fait appel à des personnes qui pratiquent ou ont pratiqué dans la vie le genre d’activités dépeintes dans le film (qu’il s’agisse du milieu du jeu, des vitrines, des bars...). Il confie : "Nous avons procédé à un casting sauvage pour nous entourer de gens proches de ce qu’ils ont à jouer dans le film. Et c’est d’ailleurs toujours drôle de voir des personnes à qui rien ne fait peur dans la vie être intimidées par une caméra."
Jérémie Guez ne voulait pas un film trop propre d'un point de vue visuel. Avec le directeur de la photographie Grimm Vandekerckhove, le cinéaste a procédé à de nombreux tests rue d’Aerschot dans le quartier rouge, l’été, notamment avec de la pellicule et des optiques très variées :
"L’influence, c’était de se dire : que feraient des Hongkongais des années 80 ou 90 s’ils filmaient l’Europe du Nord ? Il ne fallait pas reproduire mais adapter leur manière de penser. Quand le cadre bouge vraiment, c’est finalement très peu de « caméra épaule », mais plutôt de la caméra portée à la hanche."
"Il y a un plan-séquence où mes personnages sortent d’une boîte de nuit pour monter en voiture : il y a mille manières de filmer ça, mille accroches compliquées possibles, mais souvent les plans qui ont l’air d’être à la grue ou sur une voiture-travelling sont juste le fruit d’une planche de bois sanglée au-dessus d’une roue !"
"Il y a même des plans que nous avons fait en trottinette, comme des mômes. Ce qui était raccord avec le sujet du film : qu’est-ce que le sentiment amoureux quand on est immature ? Comment on gère l’amour quand on a toujours connu du sexe tarifé, qu’on a 30 ans mais que dans sa tête, on en a 14 ?"
Pour jouer Sema, Jérémie Guez cherchait une actrice turque. Tugba Sunguroglu a grandi en France, où elle n’est arrivée qu’à 10 ou 11 ans – elle a donc la double culture. Il précise : "Elle possède quelque chose de doux, ses yeux sont très bleus, elle défie un peu l’image que peuvent avoir les gens des Turcs – bruns, les yeux marrons. Tous les deux avaient un physique un peu en contre-pied de leur nationalité."
"Enfin, je suis Arben Bajraktaraj depuis longtemps. C’est un super acteur – il est Albanais du Kosovo et ça, ça m’arrangeait beaucoup car je voulais que chacun puisse jouer dans sa langue maternelle ! Quant au père de Sema, il est joué par un ancien culturiste – il était champion de bodybuilding en Turquie dans les années 70 – et je l’ai trouvé de manière un peu improbable au détour d’un casting sauvage."