Quand j’ai vu l’affiche du film Madame de Sévigné dans le métro, cela m’a mise en joie : enfin un film sur la Marquise ! Las, quelle déception…
Après une ouverture qui affiche le thème central du film, avec une scène de tendresse entre mère et fille, on arrive rapidement sur la rencontre de Françoise, fille de Mme de Sévigné, avec le roi. On nous présente un Louis XIV violeur, joué par un acteur sans envergure, à la limite du vulgaire. Non seulement c’est bien mal connaître les mœurs du Roi Soleil, mais c’est parfaitement contraire à la réalité historique. Si Louis a bien été séduit par Françoise, elle eût l’honneur de danser avec lui la première entrée aux ballets de la cour en 1663, puis à nouveau en 1665 dans le ballet « La naissance de Vénus ». En 1668, la mère et la fille sont invitées au souper du roi, en ayant le grand honneur d’être installées à sa table. Louis était un roi très courtois avec les femmes, soucieux avant tout de plaire à ses conquêtes ! On est donc bien loin de la scène de quasi viol, interrompue par l’irruption de la marquise, puis d’une relégation punitive de la cour ne laissant d’autre choix à Françoise qu’un mariage pas vraiment souhaité avec un homme laid, plus vieux qu’elle et criblé de dettes.
Malgré tous ces défauts, Monsieur de Grignan plaisait en effet à Mademoiselle de Sévigné et elle fit un mariage d’amour. D’ailleurs elle eût 9 grossesses, et les femmes de la haute société de cette époque savaient se protéger des ardeurs de leur mari quand elles ne les goûtaient pas ! Faut-il aussi rappeler que, loin de nourrir une vengeance contre celle qu’il n’a pas eue et contre son époux, Louis XIV fit un beau cadeau aux mariés en nommant le Comte de Grignan l’année même de son mariage son lieutenant-général en Provence… ce qui n’était pas rien ! Et si le couple ne cesse de se plaindre tout au long du film de leurs finances, ce n’était certainement pas de la faute du roi, qui n’aurait pas donné au mari de Françoise les moyens de sa charge comme cela est dénoncé dans le film, mais bien de la leur, car c’est leur train de vie qui les a menés à la ruine.
A côté de ces errements historiques, on est aussi surpris de la peinture psychologique des deux héroïnes. Madame de Sévigné aimait ardemment la vie, malgré les décès qui ont marqué son jeune âge, et avait un tempérament enjoué et joyeux, même trop pour certains de ses contemporains. Dans son Histoire de la littérature française, Paul Guth écrit : « la Marquise de Sévigné est possédée d’une fureur de vivre qui la fait danser sur les tombes. Elle éclate d’une telle frénésie, que le Prince d’Harcourt interdit l’entrée de son hôtel à elle et deux de ses amies qui lui semblent un peu trop guillerettes. ». On a donc peine à la reconnaître dans les traits d’une Karine Viard mélancolique, toujours à la limite de la tristesse, même dans ses rapports à la nature, dans laquelle elle puisait pourtant un émerveillement de petite fille (relisez la lettre du 19 avril 1690 sur le printemps !). Alors certes, l’éloignement de sa fille, pour laquelle elle nourrissait une vraie passion, a été déchirant et douloureux, mais pas au point d’en faire une neurasthénique permanente.
Quant à Françoise, on la voit dans le film en fille aimante mais qui lutte pour trouver sa place et échapper à cette mère trop envahissante. On finit même par la prendre en pitié… En réalité, Madame de Grignan était d’un caractère froid, et largement indifférente aux transports de sa mère. Peu affective, elle n’hésita pas à envoyer au couvent toutes ses filles (à l’exception d’une seule) pour éviter de les doter et à accepter des mésalliances pour ses fils avec de riches héritières, afin de renflouer ses finances.
Enfin, quel regret de ne pas voir son rôle dans la vie mondaine de l’époque ! Le film la cantonne au cercle très restreint de Mme de La Fayette, La Rochefoucauld, Pomponne, où tout ce petit monde se lamente. Certes ces personnes étaient des proches, mais Madame de Sévigné, c’était bien plus que cela dans les salons parisiens ! Pourtant, ses lettres regorgent d’anecdotes des petits et grands moments de la Cour et du tout Paris. Que l’on songe aux plus célèbres, comme sa lettre sur le mariage raté de Mademoiselle ! Quel dommage de ne pas les avoir mises en scène…
Pour terminer, il faut quand même rendre hommage à l’esthétique du film, qui rattrape un peu le tout. Beaux costumes, beaux décors… mais cela ne fait pas un beau film sur Madame de Sévigné ! Dommage...