En 2006, Maïwenn a vu Marie-Antoinette de Sofia Coppola et a immédiatement été fascinée par le personnage de Jeanne campée par Asia Argento. Elle confie : "Je me sens immédiatement en connivence avec elle, elle me manque dès qu’elle quitte l’écran. Jeanne du Barry me séduit car c’est une looseuse magnifique."
"Peut-être parce que sa vie a des similitudes avec la mienne, mais ce n’est pas la seule raison. Je tombe amoureuse d’elle et de l’époque. Je me plonge dans une biographie très complète d’elle. Le désir de faire un film sur elle est immédiat mais va être contrarié pendant dix ans par un sentiment d’illégitimité à m’en emparer."
"À chaque fois que je termine un film, je me replonge pourtant dans ce livre mais sans jamais parvenir à triompher de mon complexe d’infériorité."
C’est après le tournage de Mon Roi (2015) que Maïwenn s'est sentie capable de s'attaquer au projet : "Ma cinéphilie qui s’était renforcée au fil du temps et m’avait permis de savoir, à travers les films d’époque que j’avais pu regarder, ce qui me plaisait et me plaisait moins. Tout cela m’a permis de construire dans ma tête la manière dont je pourrais mettre en scène un film sur Jeanne du Barry, tout en ayant conscience de la quantité de travail que cela impliquait", se rappelle la cinéaste.
Côté mise en scène, Maïwenn a voulu faire un film au rythme relativement lent, jamais contraint par la reconstitution historique, bénéficiant d'images très proches des tableaux du 18e siècle et avec peu de gros plans ou de scènes trop découpées. Elle précise : "Bref, un cinéma à l’opposé de celui que j’ai fait jusque-là, où il fallait vraiment réfléchir les plans en amont au lieu de les créer sur le plateau."
"Habituellement, chez moi la technique s’adapte aux comédiens. Là, ça allait devoir être l’inverse. Je voulais que la star du film soit la caméra ! La lumière ! Le chef opérateur ! Il se trouve aussi que j’ai découvert sur le tard Barry Lyndon. Ça a été un choc titanesque. Et cela m’a confortée dans l’idée de ne pas casser les codes du classique pour en faire une mise en scène moderne", note la réalisatrice.
Maïwenn a choisi le 35mm par réflexe de spectatrice, la cinéaste trouvant que le numérique n'est pas adapté aux films d'époque. Elle ajoute : "Avec le 35mm, il y a du grain, les couleurs correspondent à la réalité, c’est somptueux. Et je savais aussi que cela créerait une tension particulière au moment du « moteur » car, pour économiser de la pellicule, on aurait tous devant et derrière la caméra moins le droit à l’erreur. Je savais que ça rejaillirait dans le jeu, que ça allait aussi correspondre à la pression qui existait à Versailles où la spontanéité n’était pas de rigueur dans les échanges."
Maïwenn a rencontré plusieurs chefs opérateurs avant de faire appel à Laurent Dailland, dont elle avait adoré le travail sur Aline et plus largement l’aspect hétéroclite de sa filmographie (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Place Vendôme, etc.) : "Laurent a une sagesse d’esprit et de regard qui allait parfaitement compléter mon caractère impulsif tout en respectant mes volontés. Aller vers quelque chose de classique, de beau, de pur", confie-t-elle.
Le tournage de Jeanne du Barry a en partie eu lieu au Château de Versailles. Il est possible d'y tourner uniquement le lundi, jour de fermeture au public, et dans des lieux très précis : les extérieurs, la Chapelle Royale, la Galerie des Glaces et le salon Hercule. Maïwenn précise : "Et dans les intérieurs, on n’a pas le droit aux bougies, à la fumée, à tout ce qui pourrait abîmer le lieu."
"De vraies contraintes pour un directeur photo. Ce qui explique que j’ai choisi de reconstituer certaines scènes en studio car je voulais que rien ne puisse gêner le travail sur l’image. Et pour revenir à votre question, Versailles, j’ai choisi de le filmer à travers les yeux émerveillés de Jeanne, avec sa spontanéité. Jeanne jouit de se trouver dans ces décors mais n’est jamais écrasée par eux !"
Maïwenn a longtemps cru qu'elle ne pourrait jamais jouer quelqu’un de débordée par les épreuves de la vie par peur que cela court-circuite sa relation aux autres sur le plateau. Elle explique néanmoins : "Mais l’expérience de chacun de mes films m’a convaincue que je devais le faire. J’étais prête. Il y a évidemment d’autres comédiennes que j’aime, que j’ai envie de filmer et qui ont le caractère de Jeanne."
"Mais ça m’aurait fait tellement souffrir de la confier à quelqu’un d’autre ! La frustration aurait été immense. Je connaissais trop le personnage, je la sentais trop proche de moi pour la confier à une autre. Réaliser et jouer dans le film était une question vitale et indissociable."
Maïwenn a d’abord écrit le rôle de Louis XV pour un comédien français, qui a finalement refusé de lire le scénario : "Je mets donc un petit moment à digérer ma déception avant de proposer le rôle à un autre acteur français qui, lui, me dit très rapidement oui mais doit renoncer pour des soucis de santé. A partir de là, j’avoue ne plus avoir de désir pour un français dans ce rôle. Un ami me suggère alors de faire la liste de mes rêves, par-delà les frontières et les langues. J’en vois trois."
"J’essaie de joindre le deuxième de cette liste car il me paraît le plus abordable. Et je vais attendre deux mois avant de recevoir une réponse lapidaire de refus de la part de l’assistant de son agent, sans une bribe d’explication. Alors forcément quand je décide de m’attaquer au premier de la liste, Johnny Depp, je n’y crois même plus ! Et je me trompais dans les grandes largeurs : quinze jours plus tard, je le rencontrais à Londres et il m’a tout de suite dit oui", se souvient la réalisatrice.
A noter que parmi les deux premiers choix de Maïwenn figurait Gérard Depardieu, comme elle l'avait confié à Libération lors d'une interview. Le célèbre acteur ayant décliné la proposition, elle a alors envisagé de solliciter un comédien étranger.
Jeanne du Barry est le film d'ouverture du Festival de Cannes 2023. Maïwenn est familière de la croisette puisque plusieurs des films auxquels elle est rattachée y ont été présentés. Elle a même obtenu le Prix du jury au Festival de Cannes 2011 pour Polisse.
Johnny Depp a eu recours à une coach pour se rapprocher au plus près du français du 18ème siècle, même s'il parle un peu la langue : "Mon but a été que les mots sortent de ma bouche de manière la plus naturelle possible pour que je puisse me concentrer sur le jeu et mes partenaires. Qu’au-delà des mots, je puisse explorer, comme quand je joue dans ma langue maternelle, ce qu’il y a sous les mots."
"Et surtout que je puisse avoir la liberté d’improviser, de jouer avec ces mots, de m’amuser avec mes partenaires. De ne pas rester juste collé aux textes et aux situations par pure obsession d’une prononciation précise ou une totale incapacité à réagir à ce qui se passe autour de moi. Ce travail en amont sur la langue m’a donné les munitions pour faire mon job d’acteur, au fond !", confie-t-il.