UN BEAU FILM D’HISTOIRE AUX MULTIPLES TALENTS
Quand on a subi les « Trois mousquetaires » et que, courageusement, on tente « Jeanne du Barry », on se dit qu’il faut rester optimiste et l’on sait encore faire de beaux films d’histoire d’où l’on sort en ayant vraiment révisé une page de l’histoire de France !
Certes, ce n’est pas la grande histoire, avec ses conflits, ses enjeux diplomatiques, ses complexités internes économiques, sociales ou politiques. Et pourtant, cette histoire-là est bien plus que celle de la vie de Jeanne Bécu, mariée en « blanc » avec le frère d’un entremetteur, pour ne pas dire un proxénète, Guillaume du Barry qui est comte, ce qui permettra à cette jeune femme fort belle selon les témoins de l’époque, de devenir la maitresse du roi et de rester dans l’histoire sous le nom de comtesse du Barry. Mais, là aussi, le film est vrai car la comtesse ne s’est jamais mêlée des affaires de l’état (contrairement à sa prédécesseuse, la marquise de Pompadour). Elle aimait son royal amant, les bijoux, faire du bien autour d’elle, le luxe et les décorations intérieures de ses appartements.
Bravo au conseiller historique (Reynald Abad, agrégé d’histoire, professeur à la Sorbonne Paris IV et lauréats de prix littéraires). Il a su faire un sans-faute quant à la restitution de cette époque, à la vie quotidienne dans le palais-prison de Versailles, dans la résurrection de cette relation amoureuse réciproque entre Louis XV, un homme âgé de 58 ans, sur le passage duquel on place en 1768, selon un hasard bien organisé par les fournisseurs de jolies créatures à l’appétit toujours vert du roi, la très belle Jeanne, âgée de 25 ans, dont la « poitrine est à contrarier le monde » comme l’affirmait le connaisseur prince de Ligne. La présentation officielle au roi, permettant à la maîtresse d’obtenir en quelque sorte le titre de maîtresse officielle, se déroule en 1769 dans la salle du conseil des ministres (et non dans la Galerie des Glaces ; ce que l’on pardonnera à Maïween).
Car c’est bien là que réside la particularité remarquable de la mise en scène de Maïwenn. Celle qui interprète également le rôle de la dernière maîtresse du roi (la crédibilité manque un peu quant à l’âge de l’actrice et à sa beauté sensiblement éloignée de l’original), a réussi à recréer l’atmosphère de la vie privée du souverain et de sa Cour rapprochée (famille royale, nobles, valets). C’est tout ce qu’ajoute la fiction par rapport aux visites de musées où les décors et les mobiliers sont certes présents, mais où manque la vie, avec les vaisselles, les tissus, les coussins, les mets, la cheminée qui rougeoie, les nombreux meubles, etc. Une mention spéciale pour la qualité de ces décors restitués parfaitement avec élégance et sans anachronisme. On entre dans ces quotidiens-là comme on entrerait dans son propre salon.
Quel talent aussi que d’avoir si bien représenté l’épuisement de l’étiquette voulue par Louis XIV, l’arrière-grand-père de Louis XV, dont les artifices assomment tout le monde, mais que l’on respecte scrupuleusement (au moins en public) de peur de faire vaciller cet ordonnancement tout à la fois dépassé et garant du prestige monarchique. C’est ainsi que l’on découvre que le roi se glisse le matin dans son lit d’apparat, après avoir passé dans la nuit dans le lit privé de ses petits appartements, pour que se déroule la mise en scène théâtrale du « lever du roi ». Les rires que déclenchent chez Jeanne ces simagrées sont vrais et annoncent ceux à venir de Marie-Antoinette, future reine de France, qui s’étonnera et se révoltera contre ces mêmes ridicules.
De nombreux détails qui peuvent passer inaperçus n’ont pas été oubliés, comme l’émouvant le geste de La Borde, le fidèle valet de chambre du roi qui ne se saisit de la main du souverain qu’après que ce dernier ait rendu son dernier souffle, car il n’aurait bien sûr jamais été question qu’il la touche de son vivant. Sur son lit de mort, le roi réclame de l’eau de Vichy. C’est effectivement celle qu’il buvait pour calmer ses difficultés intestinales. Exacte aussi la palinodie des mots que la dauphine Marie-Antoinette devait adresser à Jeanne pour établir une harmonie au moins de façade, alors qu’elle la détestait, la décrivant comme « la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable ». Quant à la troisième saignée synonyme de maladie grave (le roi avait attrapé la très contagieuse variole), également vraie. Vraie encore cette bougie que l’on souffle pour annoncer la mort du souverain, certes aux chefs des écuries et aux coursiers des ambassades (et non à la Cour qui attendait derrière les portes de la chambre. Etc., etc.
Si l’on peut regretter l’absence d’envergure cinématographique qui fait le « grand » film inoubliable, on se réjouit de ce beau moment d’histoire, d’intimité presque familiale et de description de cette Cour surannée et ridicule, parfaitement retranscrites, en nous confrontant à la réalité humaine d’un roi avec son dernier rayon de joie, de fantaisie, de gouaille et d’amour qui sont aussi l’histoire.
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