La première demi-heure semble annoncer le pire : l’enfance de Jeanne nous est contée de la plus fastidieuse des façons, comprenant un saut de puce incessant entre des épisodes comme un diaporama fait défiler les vignettes d’un exposé, une voix off assommante explicite les enjeux des situations que nous avons sous les yeux mais qui, faute de mise en scène, ne disent rien par elles-mêmes, la reconstitution historique révèle une facticité qui empêche toute immersion véritable. Autrement formulé, le premier acte sonne faux, parce que Maïwenn ne prend pas le temps de s’arrêter sur ce qui l’intéresse véritablement, et sur ce qu’elle réussit : la direction d’acteurs.
Aussitôt le couple principal introduit, une alchimie se produit : grotesque, bouffonne et improbable, à l’image de personnages fantoches qui, pourtant, accèdent à une forme de sublime lorsqu’ils sont ensemble. La notion d’interdit, qui annonce celle de transgression et, ici, de libertinage, s’inscrit dans l’« être ensemble », thématique centrale au cinéma de Maïwenn : la liaison passionnée entre le souverain et une fille de joie suscite indignation et jalousie des courtisans, des membres de la famille royale, d’une princesse étrangère, ce qui permet au film de dénoncer la comédie sociale, de représenter l’hypocrisie à l’œuvre dans un microcosme versaillais où brillent par leur anachronisme les concepts de vie privée et de libre-arbitre déjà interrogés, entre autres, par le moraliste Jean de la Bruyère quelques décennies auparavant (« Il ne manque rien à un roi que les douceurs d’une vie privée », remarque 15, Du Souverain ou de la République).
Critique réactualisée par la contemporanéité avec laquelle la réalisatrice et son équipe investissent le XVIIIe siècle et mettent en relief des préoccupations qui sont nôtres ; également par le choix, en tête d’affiche, de l’acteur américain Johnny Depp, qui trouve dans ce film un miroir dans lequel réfléchir son statut d’icône blasée, menacée de toutes parts par les rumeurs et les calomnies. Aguerri à la langue française mais non francophone, Depp surprend – une fois encore – par la bizarrerie de son jeu, inattendu parce qu’il s’affranchit de la parole pour se retrancher derrière une suite d’expressions et de poses éloquentes, masque sociétal sous lequel voit Jeanne du Barry. La séquence de lever royal perçue derrière le miroir sans teint constitue une idée de réalisation audacieuse : elle montre le souverain tel un spectre à son entourage, tel un acteur qui répète, jour après jour, le même rôle dépourvu de sens. Seules l’intéressent, en somme, les pas de côté, les irruptions en pleine réunion des ministres, les effusions amoureuses lors d’un repas européen.
Pour autant, Maïwenn refuse de filmer les ébats charnels : une telle pudeur surprend d’abord, puisque le sexe fait partie intégrante de la relation qui unit Louis XV à la comtesse ; c’est que sa focalisation est ailleurs, non dans l’évitement mais dans le scandale public. À quoi bon filmer deux corps qui s’enlacent dans une chambre secrète, à l’abri des regards ? Si scandale il y a, il ne peut éclater qu’au cœur du château de Versailles, il doit naître du regard des autres et révéler leur bêtise. Voilà pourquoi la tonalité comique est omniprésente : si elle demeure, à l’instar de la rencontre amoureuse, lourdement amenée et exécutée, dépourvue de subtilité, elle participe de la pochade adoptée en esthétique. Cette intelligence symbolique repose, donc, essentiellement sur la complicité des comédiens ; elle ne saurait rattraper un déficit flagrant de cinéma en matière de mise en scène.