Dans les paysages ruraux de la Macédoine du XIXème siècle, tableaux instantanés d'un conte intemporel où le fantastique le plus cruel n'a aucune difficulté à s'immiscer au sein de la destinée humaine, une sorcière métamorphe que l'on surnomme "La Dévoreuse de Loups" jette son dévolu sur le bébé d'une paysanne. Désespérée, la mère supplie la créature d'épargner sa fille Nevena au moins jusqu'à ses seize ans pour qu'elle puisse vivre sa jeunesse à ses côtés. La sorcière semble se satisfaire de cette proposition mais coupe la langue de Nevena, la laissant muette comme marque de ce pacte, avant de prendre la fuite.
Méfiante, la mère choisit d'élever sa fille en captivité, totalement isolée du monde extérieur, au fond d'une grotte pendant ces seize longues années. Mais, à l'instar des barres noires qui ne quitteront jamais chaque côté de l'image, la noirceur de la sorcière sera toujours restée (et restera) dans les parages de Nevena et reviendra comme promis chercher l'enfant pour en faire une représentante de son espèce maudite.
Après avoir vécu quelques temps aux côtés de cette figure maternelle détournée et découvert ses capacités, Nevena est livrée à elle-même, partant à la rencontre du monde sous le déguisement de plusieurs visages humains...
Si on devait chercher à le définir par des références, "You Won't Be Alone" pourrait s'apparenter au nouveau-né issu, on ne sait trop comment, d'une nuit de folie passée entre Robert Eggers, Terrence Malick et le Matteo Garrone de "Tale of Tales" tant on aura rarement vu un film faire preuve d'une aisance si naturelle à marier les canons de la folk horror contemporaine à l'essence ancestrale du conte pour en tirer une véritable expérience sensorielle, à la réalisation incroyablement captivante par sa capacité à approcher l'insaisissable des émotions brutes de l'innocence de sa femme-enfant, le tout à travers les différents yeux qu'elle "emprunte" pour se construire dans sa quête d'identité (ses diverses formes humaines sont d'ailleurs interprétées par un casting international propre à l'universalité du conte: la Suédoise Noomi Rapace, l'Australienne Alice Englert, le Portugais Carloto Cotta et la Macédonienne Sara Klimoska).
Bien sûr, on prend un peu peur, lorsque, très vite, sous les traits de Noomi Rapace (encore une fois exceptionnelle dans un rôle singulier !), Nevena se retrouve propulsée dans le rôle d'une femme totalement soumise à la violence d'un patriarcat archaïque, cette tournure féministe trop directe fait craindre un propos assez manichéen, autant dans son contenu que par la manière abrupte de le délivrer, mais "You Won't Be Alone" est évidemment plus malin que ça, faisant en réalité de cette rencontre fondatrice avec une des pires facettes de l'humanité un écho à l'obscurité de la grotte ayant englouti la jeunesse de sa jeune sorcière et dont elle est parvenue à s'extirper par la seule conviction naïve qu'une lumière était encore possible pour elle.
C'est avec cette motivation constante que son chemin se poursuivra sous plusieurs peaux, faisant de son apprentissage de la vérité primaire des émotions une donnée bien plus primordiale que le genre des corps dans lesquels elles sont ressenties, jusqu'à enfin trouver celle qui lui corresponde le mieux pour se réapproprier ses années d'enfance volées et vivre tout simplement cette existence tant désirée avec la volonté ardente, superbement retranscrite au spectateur, d'en déguster la saveur de chaque instant, même le plus anodin, face au risque que sa nature surnaturelle soit dévoilée. La réelle menace du long-métrage, encore bien plus dangereuse (et tout aussi omniprésente), prendra cependant le pas sur cette crainte car, là où Nevana aura trouvé sa lumière, la construction astucieuse du film nous révélera que sa némésis, elle, est à jamais restée figée dans ses propres ténèbres, se retrouvant enfermée dans une telle spirale de rancoeur qu'elle ne pourra qu'abattre son courroux sur un bonheur qui lui est demeuré désespérément étranger...
Quel film ! On se doute bien que la proposition cinématographique atypique représentée par "You Won't Be Alone" n'est pas conçue pour faire l'unanimité, elle clivera même sans doute le public de façon encore bien plus prononcée qu'un "The Witch" par exemple (auquel elle sera inévitablement comparée). Toutefois, ceux qui succomberont à cette expérience aussi rare qu'unique en son genre seront tout bonnement ensorcelés par les partis pris de sa mise en scène traduisant l'hypersensibilité d'une femme-enfant à la fois émerveillée et effrayée devant l'inconnu d'un monde à découvrir, par la beauté de sa direction artistique où la féerie naturelle du cadre macédonien épouse les composantes les plus graphiquement violentes du conte, par l'utilisation éminemment judicieuse de son concept de métamorphose offrant une opportunité en or à ses acteurs de briller (peut-être pas tous à un même niveau, reconnaissons-le) ou encore par la délicatesse du sublime habillage musical composé par Mark Bradshaw. Certes, quelques maladresses inhérentes à un premier long-métrage se feront remarquer ici et là mais elles seront vite balayées par toutes les qualités de l'entreprise autrement plus signifiantes et grandioses, faisant de "You Won't Be Alone" une œuvre à part et pour laquelle, justement, on n'espère pas être les seuls à avoir un immense coup de coeur.