Ce thriller turc est un des films les plus excitants que j'ai pu voir cette année ! Emre, un jeune procureur intègre issu d'un milieu bourgeois et urbain, prend son premier poste à Yaniklar, une petite ville du fin fond de l'Anatolie où le manque d'eau et les effondrements de terrain provoquent de vives tensions. Devant l'insistance du maire, et malgré le peu de sympathie qu'il porte aux notables de la ville, Emre accepte une invitation à dîner chez l'élu et son fils, qui se termine en une soirée fort alcoolisée. Le lendemain, c'est le black out quasi total pour le jeune procureur. Quand le commissaire l'appelle pour sa première affaire criminelle, le viol d'une jeune gitane simple d'esprit, Emre se souvient l'avoir vue la veille chez le maire... Le réalisateur Emin Alper utilise habilement les ellipses pour brouiller les pistes. Les flashs qui assaillent le héros sont-ils de vrais souvenirs ? des souvenirs reconstitués, influencés par les rebondissements de son enquête ? des cauchemars ? Les allégations perfides de Şahin, le fils du maire, sont-elles fondées ou ont-elles pour but de le déstabiliser et de faire pression sur lui ? De plus les nouvelles vont vite dans cette petite bourgade, les rumeurs aussi, et comme Emre, le spectateur ne sait plus à qui se fier... Murat, le journaliste de l'opposition, avec qui il a des liens équivoques, est-il fiable ? Même la juge, jeune femme moderne dans un milieu machiste et rétrograde, se montre parfois ambivalente. Corruption, populisme, clivage modernité/tradition, ambiguïté morale, tous les ingrédients sont là pour transcender le genre policier et faire un film politique à suspense, où les gouffres qui défigurent le paysage aride ont une valeur allégorique sur la situation de la société turque. La séquence d'ouverture m'a fait penser au début d'AS BESTAS, de Rodrigo Sorogoyen, où l'on voyait des hommes faire plier un cheval sauvage et récalcitrant : de la même manière, l'ouverture de celui-ci, mettant en scène la chasse d'un sanglier égaré en ville par une foule d'hommes dans une transe meurtrière, annonce métaphoriquement la chasse à l'homme qui ne peut manquer d'arriver. La tension monte tout au long du film, pour se terminer de manière déconcertante en plein climax... Le réalisateur a choisi de ne pas abattre toutes ses cartes et de ne pas donner de résolution facile. Osé, mais terriblement frustrant ! Je pense que plusieurs visionnages sont nécessaires pour bien assimiler tous les éléments de l'intrigue (la question de l'eau, enjeu du pouvoir, est également cruciale). BURNING DAYS, qui offre à voir par ailleurs une très belle photographie (les clair obscurs des plans nocturnes sont particulièrement réussis), a suscité le courroux du gouvernement turc, ce qui est en soi une autre très bonne raison de voir ce film !