C’est un film superbe que ce « Godland »… Tourner au milieu de tels paysages permet au réalisateur plasticien Hlynur Palmason et à sa directrice de la photographie Marie Von Hausswolff, de nous offrir un long-métrage (2h23) en état de plénitude, narrative et visuelle. Un chef-d’œuvre injustement oublié du palmarès cannois Un Certain Regard en 2022 (où il aurait d'ailleurs dû concourir pour la Palme d'or vu sa maestria). Heureusement récompensé dans d’autres festivals comme Chicago ou Riga.
Inspiré de sept photographies prises par un prêtre danois dans les années 1800 en Islande, Godland raconte le voyage de Lucas, un jeune pasteur danois missionné en Islande à la fin du 19e siècle par sa hiérarchie pour deux raisons : d’un côté, photographier la population locale devant les paysages du pays ( il transporte une énorme chambre noire) et de l’autre, aider à la construction d’une église dans un petit village…Godland se déroule à l’époque où l’Islande était sous domination danoise, c’était une terre de colonisation , en grande partie terra incognita pour les danois. Avec une certaine logique narrative, Hlynur Pálmason a donc découpé son long-métrage en deux parties bien distinctes, lui permettant d'opérer une évolution de ses personnages à travers leur parcours.
Dans un premier temps, Godland est une odyssée à travers une nature plus hostile que nourricière. En suivant la progression du prêtre et de ses compagnons au milieu des plaines boueuses, des montagnes escarpées, des rivières en crues ou des volcans en irruption, Godland replonge alors les spectateurs dans une forme de cinéma d'un temps révolu. Un cinéma d'exploration, quasi-documentaire, rappelant les grands voyages en terres inconnues du cinéma de Werner Herzog ou celui de la conquête de l’ouest américain de John Ford …Avec intelligence, Pálmason a en effet choisi d'utiliser le format 1:33, avec des coins arrondis, pour complètement ancrer son récit dans une autre époque (visuellement) et, par la même occasion, synchroniser (en partie) l'esthétique de son film à celles des vieilles photographies prises par le prêtre dans sa mission…La beauté subjuguante et écrasante de ces territoires vient ainsi s'immiscer dans la trajectoire de Lucas dont la mission évangélique va rapidement se transformer en pur cauchemar, en chemin de croix ou plutôt en longue remise en question, existentielle et spirituelle…. Une perte de contrôle devant les obstacles naturels qui va peu à peu nourrir son aigreur, bien incapable de dompter l'environnement qui l'entoure. Pire, sa bienveillance des premiers instants va rapidement se muer en arrogance, jaloux de la sérénité du guide de l'expédition, le rustre Ragnar (Ingvar Eggert Sigurðsson), avec lequel les échanges vont devenir de plus en plus houleux, notamment parce que le vieux bougre ne croit pas spécialement en Dieu. Débute alors une longue introspection silencieuse au milieu de la nature sauvage. Au bord de l'épuisement et pourtant soutenu (théoriquement) par la présence de Dieu, Lucas perd peu à peu sa foi. Dépouillé de toutes ses forces, et proche d'y laisser sa vie, il se réveille toutefois dans une sorte de paradis, proche d'un visage féminin, comme secouru par une force divine l'ayant téléporté dans une contrée apaisante et revigorante.
C'est ici que s'engage le deuxième acte de Godland. Et s'il est sans doute moins spectaculaire visuellement que la première partie du film, il contient en lui toute la sève du récit en cours. Désormais arrivé dans le village qu'il ne pensait plus pouvoir rejoindre, Lucas est, certes, affranchi des tumultes de cette Islande déchaînée, mais va devoir défier une autre forme de tempête : celle de sa foi, de son propre rôle, des tourments de l'humanité et surtout de l'agitation de sentiments interdits par son statut... Ainsi la grande épopée sauvage de la première partie se transforme en réflexion onirique et poétique sur l'existence, le cinéaste explorant la petitesse de l'humain face à la vastitude du monde, la faiblesse du corps face à la robustesse de l'esprit, la brièveté de l'existence humaine face à l'éternité de la nature…Malgré sa longueur, cette plongée dans un monde glacial est fascinante par sa beauté visuelle et par son rythme méditatif… Un objet esthétique splendide et une réflexion rare sur un épisode méconnu de l’histoire de l’Islande.