Un film fort et passionnant qui tente de restituer au plus près la génèse de la tuerie de Port-Arthur, même si il est bien difficile de se mettre dans la tête d'un tueur en série...
Peu connue en France sans doute, ça se passe en Tasmanie et en1996. 35 morts, 25 blessés. Il n'y avait là, aucun arrière plan politique, ni secte ni mobile sociologique, comme on a pu le voir dans des affaires plus récentes : Martin Bryant était juste un débile léger, surnommé par moquerie Nitram par ses camarades de classe. Caleb Landry Jones qui l'interprète -grand corps mou et longue tignasse blonde (comme le Martin de la vie) est formidable.. Martin vit avec ses parents, famille modeste qui l'aime (et qu'il aime) Le père (Antony LaPaglia), un peu absent, obsédé de réunir la somme qui lui permettrait d'acheter la demeure en bord de mer dont il rêve et que Martin l'aidera à entretenir; la mère (Judy Davis), ferme, décidée à maintenir hors de l'eau la tête de cet imprévisible qui aime plus que tout lancer des pétards (surtout quand cela énerve les voisins) et qui peut avoir des crises de violence monstrueuses, contenues par le médicament qu'il prend tous les jours. Judy Davis, beau visage grave marqué par la vie, est aussi exceptionnelle, tant elle nous laisse deviner ce qui bouillonne derrière ce calme: sans doute a t-elle conscience de la dangerosité potentielle de Martin
Un jour Martin rencontre Helen (Essie Davis), une quinquagénaire richissime qui l'invite à s'installer chez elle. Amitié étrange de deux solitaires, absolument dépourvue de sexe; Martin n'a jamais connu de filles, et Helen? elle est plus à l'aise avec ses innombrables chiens, semble t-il, avec lesquels elle écoute en boucle des comédies musicales. Lorsqu'elle meurt, elle lui laisse sa fortune -hélas pour les 35 victimes, car sans ce pactole, Martin n'aurait jamais pu acquérir les armes de guerre qu'il a utilisé pour le massacre.
Sans doute la mort d'Helen a t-elle joué un rôle dans la descente aux enfers du jeune homme: la seule personne avec qui il avait des relations normales, celle qui ne le prenait pas pour un nitram. Au contraire des surfeurs -il aimerait tant savoir se servir de cette planche qu'il a pu acheter avec l'argent d'Helen, mais il ne fait que boire la tasse. Au contraire du couple qui a pu acheter la demeure que le père convoitait, et qu'il tuera en priorité. Tant de frustrations, tant de rancoeurs accumulées, est ce que cela suffit à expliquer qu'ensuite, il se soit rendu dans cette base de loisirs pour poursuivre et tuer tout ce qui passait à sa portée, familles, enfants? Que c'est il passé dans le cerveau malade de Martin? Justin Kurzel n'en sait rien et nous ne le saurons jamais. Mais ce film pudique -on ne verra rien des tueries- pose deux questions fondamentales
Celle qui agite l'Amérique: la vente libre des armes. Comment le marchand d'armes n'a t-il pas pu voir que ce jeune hirsute, dépourvu de permis de port d'armes, était potentiellement dangereux. Ensuite l'Australie a durci ses lois, mais j'ai lu qu'il y a toujours autant d'armes qui se baladent.
Et puis: la place du fou dans la ville, sur laquelle des philosophes renommés, et non des moindres, ont beaucoup glosé. Le fou, cet autre visage de nous-même, doit vivre parmi nous. Vraiment?
Le film se termine sur la silhouette de la mère, seule devant sa maison, les yeux dans le vide, celle qui n'a rien pu empêcher.
A voir, à apprécier les acteurs et à réfléchir