Les Nancéiens ou toutes celles et ceux (dont je fais partie) qui ont passé une partie de leur vie à Nancy n’auront aucune peine à reconnaître l’un des décors de ce joli film de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, nouveaux venus au cinéma en tant que réalisateurs et dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils font preuve d’un beau talent. Le décor en question, c’est celui d’une cité de HLM située sur une hauteur et dont les barres d’immeubles sont visibles depuis quasiment tous les points de la ville, le Haut-du-Lièvre, appelé familièrement « Hautdul » par les habitants du lieu. C’est là qu’habite Sophie, dite Fifi, magnifiquement interprétée par Céleste Brunquell, coincée dans une ambiance familiale chaotique, où l’on s’aime peut-être mais où l’on se déteste tout autant, où ça crie et ça hurle presque sans arrêt. Fifi a quinze ans et, comme on l’apprend au cours du film, elle n’a quasiment jamais quitté sa ville de Nancy, n’a bien sûr jamais vu la mer et ignore tout de son père qui s’est fait la malle au moment où sa mère était enceinte d’elle.
Or, voilà que, par un concours de circonstances, elle trouve le moyen de pouvoir s’isoler un peu, d’être un peu au calme, dans une agréable villa où une copine l’a introduite et dont elle a réussi à dérober les clés. C’est l’été et, la copine et ses parents étant partis en vacances, elle s’imagine pouvoir profiter de la maison sans être dérangée. Ce qu’elle n’avait évidemment pas prévu, c’est l’arrivée subreptice de Stéphane (Quentin Dolmaire), le frère aîné de la copine, qui la surprend alors qu’elle se prélassait dans un bain. Qu’à cela ne tienne ! Les deux jeunes gens font connaissance et se mettent d’accord pour se partager un petit boulot d’été à faire à la maison, consistant à mettre des papiers dans des enveloppes.
Ainsi commence un agréable marivaudage, qu’aurait sûrement apprécié l’un des cinéastes les plus réputés dans ce genre, Eric Rohmer, un marivaudage, précisons-le, qui ne dépasse jamais certaines limites, la différence d’âges entre les deux partenaires étant, aux yeux de Stéphane, un obstacle à ne pas franchir. Néanmoins, même si cela reste platonique, c’est bien d’une histoire d’amour dont il est question, un amour d’été qui rapproche, pour un temps, deux êtres qui se sentaient seuls.
Jeanne Aslan et Paul Saintillan excellent à filmer les moments d’intimité entre ces deux-là, leurs bavardages pendant qu’ils accomplissent leur job d’été ou boivent un verre ou sortent ensemble pour faire une visite ou participer à une soirée. Certaines scènes, simples et cependant très belles, fascinent : la douceur d’être ensemble après avoir regardé un film de Charlot à la télé, une petite leçon de piano improvisée ou une baignade nocturne dans un lac. Entre l’adolescente venue de sa cité et l’étudiant en école de commerce à Paris, la différence semble s’estomper autant qu’il est possible. Tous deux sont esseulés, pas plus doués l’un que l’autre, et heureux de passer un été ensemble. Tout s’enchaîne admirablement sous l’œil de la caméra complice du duo de réalisateurs. À la fin, quand cela s’achève, on aurait aimé que cela continue, tant on a apprécié les deux personnages principaux.