Musique épique, fer contre fer, détonations dans les forêts, coup de pétards mouillés et chevauchées en équilibre sur les falaises anglaises: annoncé depuis quelques années, voilà l'acte 1 des Trois mousquetaires, dans leur version 2023 réalisée par Martin Bourboulon. Le quatuor tient enfin au bout de ses fleurets et mousquets les salles de France et d'ailleurs. Le public attend-il ce genre de grand spectacle? La proposition est osée. Moi, j'y adhère, j'ai toujours préféré les westerns et films de cape et d'épée que les bolides lancés à folle vitesse ou les armadas de dernière génération. Le premier acte, intitulé D'Artagnan, est donc sorti ce 5 avril et fait feu de tous bois, avec le coffre de ses interprètes mais aussi une histoire trop séquencée, trop chapitrée qui nous donne l'impression de voir une série en trois ou quatre épisodes dont le grand écran nous donne la primeur.
À lire ici de manière plus confortable : https://branchesculture.com/2023/04/06/dartagnan-les-3-mousquetaires-nouveau-film-2023-martin-bourboulon-francois-civil-vincent-cassel-pio-marmai-et-romain-duris-eva-green-pathe-nouvelle-adaptation-decevant/
Après le catastrophix Astérix et Obélix : L'empire du milieu qui "devait sauver le cinéma français" (même avec des faux comptes, les marchands de tapis qui semblent avoir pris la place des producteurs et autres distributeurs, Pathé en tête, n'ont pas réussi à rehausser la note du film sur Allociné dont on ne saura jamais à quel niveau elle aurait échoué sans ce jeu de dupes), Pathé continue le forcing avec un autre film à grand spectacle (espère-t-on) et à gros budget (c'est certain: 60 millions €): D'Artagnan, soit le premier acte (sur deux) de la énième adaptation du roman d'Alexandre Dumas, proposée cette fois par Martin Bourboulon, le réalisateur des irrésistibles Papa ou Maman et d'Eiffel. S'il avait déjà touché à la reconstitution historique en évoquant la vie du créateur de la tour Eiffel, porter à l'écran les héros de Dumas était une sacrée autre paire de manches. Dans laquelle j'ai senti les limites du cinéaste.
Mais avant tout ça, présentation.
Avant de se trouver face aux 3 Mousquetaires, un peu de patience en compagnie du volontaire et serviable Gascon qui par vents et par maux fait route vers Paris, avec la ferme intention de se présenter à de Tréville, le capitaine des mousquetaires du roi. En toute insouciance et jusqu'au-boutiste mais non sans se trouver déjà au mauvais endroit au mauvais moment. Car, dans l'auberge qui est son dernier relais avant la capitale, Charles D'Artagnan, puisque c'est lui dont il s'agit, est témoin d'un guet-apens envers une noble et ses hommes de main. Sous le déluge, de sinistres individus, armés jusqu'aux dents, sortent de l'ombre et s'attaquent à la calèche. N'écoutant que son courage, D'Artagnan se bat comme il peut pour tenter de sauver la dame et commence à écrire sa légende... dans un combat qui sous des airs du Pacte des loups ne met vraiment pas tout de son côté pour séduire, c'est épileptique, difficilement lisible. Et, évidemment, D'Artagnan perd et finit enterré.
Les Mousquetaires, cavaliers de l'Apocalypse?
Sauf qu'il a retenu sa respiration et qu'il s'en sort un peu plus tard. D'Artagnan d'outre tombe? Il s'est pris pour Romero, Bourboulon? Ses trois mousquetaires seront-ils des zombies cavaliers de l'Apocalypse? C'est assez grand-guignolesque et indigent comme ouverture.
Et voilà donc D'Artagnan (un sémillant François Civil, parfait dans le rôle avec cette lueur dans le regard qui va le rendre tannant, ne rien lui faire lâcher) qui arrive à Paris et rencontre coup sur coup, et gaffe sur gaffe (la scène est ludique), ses trois futurs partenaires qui sont d'abord ses adversaires. Question d'honneur, à la vie à la mort, l'affaire sera entendue, dans les bois. Avec: Athos, Vincent Cassel; Porthos, Pio Marmaï, et Aramis, Romain Duris. Les trois comédiens bankables sont bien choisis, à leurs aises et campent bien leur légendaire personnage, chacun avec ses traits particuliers. Malheureusement, ce que le film en fait est assez désolant, leur enlevant de la substance, les sacrifiant aux péripéties.
Car oui, cette première partie, si elle tient sur deux heures et entend être sans temps mort autant que fidèle à l'oeuvre de Dumas, elle ne lui rend pas hommage dans la finesse de son écriture et est assez grossière dans sa manière de passer du coq à l'âne. Sans même apprendre à trop se connaître, les quatre guerriers sont poussés d'intrigue en intrigue, sans respirer, sans réfléchir, de manière trop légère que pour ne pas sembler mécanique. Et l'émotion, bordel? Parfois, un trait d'humour en guise de ponctuation et c'est tout. Dans un climat de tension, ils devront donc sauver un des leurs de la peine capitale, sauver la reine et son amour pour le duc de Buckingham, récupérer les ferrets de cette imprudente majesté en Angleterre... Les images sont belles, le décor majestueux (la poursuite sur la falaise, le Paris reconstitué dans la misère et la décadence...) et à la hauteur, mais pour le reste, on a l'impression d'être dans une série télé dont on a rassemblé les trois ou quatre épisodes pour faire facilement un métrage pour grand écran. Trois aventures des Trois Mousquetaires, par exemple. Trois enquêtes, même. C'est finalement plus Sherlock que Capitaine Fracasse!
Inconstant, ma chère Constance
Pourtant, au sein de ces chapitres, il y a des scènes intéressantes, qui captivent... mais il n'y a jamais d'enjeu, de suspense (pourtant on essaie de nous le faire croire, de l'appuyer), on s'attend à tout et c'est triste. Tout le monde connaît peu ou prou l'histoire, la conçoit aussi dans les libertés prises par Bourboulon et ses scénaristes (les pourtant fins limiers Alexandre De La Patellière et Matthieu Delaporte du Prénom, entre autres), encore fallait-il un peu la réinventer, la réenchanter, quitte à changer de point de vue? Le film n'y arrive pas. Si on sent bien que les hommes tiennent les armes, ce sont les femmes qui font l'histoire. Pourquoi alors n'avoir pas été plus loin dans le processus et avoir raconté l'histoire avec une Constance Bonnacieux comme personnage principal? Notez que le rôle-titre du deuxième acte sera Milady (déjà bien présente ici, dans un rôle vénéneux et irrévérencieux comme Eva Green les aime) peut-être le réalisateur aura-t-il exaucé nos voeux?
Parce qu'au final, alors que j'attendais ce film, je m'y suis très (trop) vite ennuyé. Malgré le jeu des acteurs (même si les phrases qu'on leur met en bouche sont parfois louches, hésitant trop entre un ton moderne et des phrases dans la langue de Dumas, ce qui crée un drôle de décalage) et la noirceur promise. Vous savez, c'est la mode, les films obscurs, avec des Dark Knights. Mais encore faut-il assumer cette noirceur, malheureusement, on botte en touche quand il s'agit de le faire. Et là encore le cocktail ne prend pas.
Côté acteurs, si les quatre fantastiques ont des gueules et des gouailles bien connues du grand public, les seconds rôles sont incarnés par des acteurs connus ou méconnus. Vicky Krieps est la reine et brille à passer des larmes au sourire, à masquer les sales draps dans lesquels elle peut se mettre. Elle est beaucoup plus solaire que Louis XIII campé par un Louis Garrel historique mais cinégénique. Il le campe dans son renfermement, ses difficultés à s'exprimer, quitte à bégayer, mais de scène en scène, on a l'impression de ne pas avoir le même homme en face de nous. C'est très perturbant et le rôle donne l'impression d'avoir été mal écrit, ou mal dirigé. Éric Ruf est rendu insipide en Richelieu, surtout à côté de la ribambelle de mines patibulaires dont il est entouré. Par contre, une autre femme tire encore son épingle du jeu: Lyna Khoudri en Constance Bonacieux est vraiment la personne-clé et ressource de ce film. Sensible tout en étant volontaire et dévouée, parfaite. Si les scènes d'"escrime", au corps à corps et trop près des corps, laissent à désirer et manque de souffle, reste un attentat complètement essoufflant, sonnant et spectaculaire. Les caméras prennent de la distance, de la hauteur, et offrent à ce film une idée qu'il aurait peut-être dû suivre plus souvent. La musique de Guillaume Roussel, elle, est irréprochable et au chevet des différentes ambiances auxquelles elle doit amener supplément d'âme ou de rage. Le compositeur n'en finit plus de montrer et d'être bien en vue.
En conclusion, cette première partie de la dernière version en date, française (on sait la carrière internationale et multi-médias des héros de Dumas), ne démérite pas dans ses intentions mais manque la concrétisation, créant finalement peu de neuf et pas autant badass qu'annoncé (si ce n'est Eva Milady Green, donc). Le contexte historique est fort mais le film reste moyen et l'histoire fade malgré des comédiens au taquet, qui brûle d'en découdre, de laisser leur marque avec ces protagonistes prestigieux. Je serai de la suite (attendue pour le 13 décembre prochain) mais je n'en attends plus rien. Qui sait, ce sera peut-être la meilleure manière d'être (un peu) surpris?