Avec ou sans cape, avec ou sans épée, l'odyssée d'un jeune gascon, romantique et avide du titre honorifique de mousquetaire, touche à sa fin. Pourtant, le second épisode annoncé par Martin Bourboulon n'est peut-être pas le dernier de cette œuvre emblématique d'Alexandre Dumas. Que peut bien valoir Les Trois Mousquetaires : Milady, qui n'est pas vraiment une suite ni véritablement une conclusion ?
Reprenons là où nous avions laissé nos héros, assommés, kidnappés ou graciés. Louis XIII s'apprête à marcher sur La Rochelle protestante et un jeu de pouvoir se distille dans l'ombre. C'est de nouveau de ce côté-là que nous sommes appelés à traverser le territoire français ou la Manche. Mais avant de pouvoir joindre les deux bouts du diptyque annoncé, il faut s'armer de patience pour ceux qui auraient l'idée de s'engager dans le marathon des deux films. Huit mois d'écart avec le premier volet, d'Artagnan, ne justifient pas ces compositions clipesques dans les premières minutes, afin de nous résumer tous les nœuds scénaristiques évoqués précédemment. Cela serait presque un aveu d'échec quant à l'assiduité des spectateurs qui auraient manqué le début de l'histoire par mégarde. L'hypothèse la plus probable est que l'écriture semble destinée à des fins sérielles, d'où ce previously like.
Passé cet outrageux et dispensable récapitulatif, il nous est permis de nous réveiller aux côtés d'un d'Artagnan aussi sonné que nous. Le cauchemar semble presque derrière nous, car cette ouverture nous donne de quoi déjouer et stimuler nos attentes, de quoi nous faire oublier la déception que l'on a traînée durant le premier volet, piégée par un souci d'authenticité avec le texte de Dumas. Quelle bonne surprise de nous aventurer dans des chemins de traverse, tandis que la mise en scène, scolaire et impersonnelle, de Bourboulon continue de faire grincer les dents. Sa caméra virevolte dans tous les sens pour ne rien raconter et ampute de nouveau des moments de tension clés dans une intrigue dont on distingue enfin des prises de liberté audacieuses. Encore faut-il en maîtriser le fond comme la forme, chose que le cinéaste n'a pas le loisir de rectifier sans passer par un reshoot intégral.
Le film traîne donc les mêmes symptômes artistiques et esthétiques qu'auparavant. Le petit mémo en début de projection nous rappelle sans peine cette affreuse nuit américaine sur les côtes britanniques, lorsque la photographie boueuse ne dominait pas la majorité des plans. Il reste donc ces personnages de mousquetaires, dont le développement inégal nécessitait un chapitre supplémentaire. Porthos (Pio Marmai) et Aramis (Romain Duris) ont droit à leur sous-intrigue cocasse, laissant ainsi Athos (Vincent Cassel) et d'Artagnan (François Civil) tout le poids d'un volet qui leur est en partie dédié. Cela ne va pas très fort non plus de ce côté-ci, tant ces héros deviennent de plus en plus transparents dans leur écriture. Reste la gent féminine, qui tire beaucoup mieux leur épingle du jeu, à commencer par Milady de Winter, la femme fatale et l’espionne qui était le principal atout du premier volet.
En espérant que cette suite accorde tout le temps nécessaire à son développement et à son point de vue, nous étions en droit de croire en une bénédiction. Sa première apparition a de quoi surprendre les spectateurs et les lecteurs, de quoi nous promettre une direction nouvelle, avec un panache que l’on croyait perdu à jamais. Le premier acte se tient assez bien dans les enjeux, avant que l’on coure dans tous les sens, pour retrouver Constance Bonacieux (Lyna Khoudri). Sur le chemin, une majorité de l’audience pourrait déjà avoir quitté le navire et cela se comprend à la vue d’un héritage transpercé par les lames émoussées des Trois Mousquetaires, avec une Milady que l'on décapite symboliquement. Cette femme, humiliée, amputée du prestige de la maternité, brisée sous la coupe des hommes cupides, est plus que jamais schizophrène. Il faut ainsi se résoudre à contempler la palette de jeu dramatique d'une Eva Green exceptionnelle, mais la Milady à elle-seule ne peut compenser un manque sidérant de maîtrise technique et narrative.
Hélas, les épées émoussées des Trois Mousquetaire : Milady ne valent rien face à celles des spectateurs, dont la pointe ne manquera pas de transpercer les tentatives de Martin Bourboulon, dont la vision académique ne peut convenablement conclure les trajectoires incertaines de D’Artagnan ou de Milady. Doit-on s'attendre à les retrouver Vingt Ans Après ? Ce qui est certain de notre côté, c'est que l'idée d'un tel rendez-vous n’a rien de réconfortant. Il y a donc plus d'une raison de s'inquiéter des prochaines déclinaisons possibles de cet univers d'Alexandre Dumas, à commencer par Le Conte de Monte Cristo, récemment mis en boîte et porté par Pierre Niney. Les réalisateurs Alexandre De La Patellière et Matthieu Delaporte n’auront pas le privilège de digérer les retours d’un public, de plus en plus exigeant lorsqu’il s’agit d’un patrimoine culturel. A un tout autre niveau le Napoléon de Ridley Scott a également suscité de nombreux débats. Ainsi, c’est en croisant le fer que ces films ont néanmoins le mérite de nous rassembler. Dommage qu’il faille en arriver jusque-là.