Nispel semble tiraillé entre les sirènes d’Hollywood et l’appel de Robert E. Howard. Il lui est sans doute imposé de dépeindre un monde qui court à sa perte, de filer une histoire d’amour, de caricaturer son personnage. Mais il a tenu tête et est parvenu à prendre de la distance avec le manichéisme facile. Comme dans l’œuvre d’Howard, l’Âge Hyborien se poursuivra avec ou sans Conan, avec ou sans Khalar Sing, avec ou sans Thulsa Doom, car il est le théâtre d’une lutte permanente entre sorcellerie et acier, entre civilisation décadente et barbarisme. Conan ne cherche pas à sauver son monde déjà décomposé, ni même la gloire. Il se retrouve simplement, mû par sa volonté et son destin, au cœur de combats sanglants et d’horreurs innommables, aux bras de femmes, aux côtés de pirates, de brigands et de guerriers. Le Conan de Nispel se range définitivement du côté du divertissement, alors que le Conan de Milius était avant tout une saga épique (je ne parlerai bien sûr pas de l’infamie commise par Fleischer). Dans ce Conan-ci, les combats sont intenses, les paysages riches et variés, et les personnages charismatiques. Nispel a admirablement représenté en ce sens ce qui constituait la force divertissante de l’œuvre d’Howard, là où Milius était resté bien trop classique. Je regrette toutefois la modestie de sa bande-son bien trop fade comparée à celle réalise par Basile Poledouris pour Milius, et je lui reproche surtout de trop avoir banalisé l’horreur et le fantastique. Chez Howard, l’horreur est toujours insoutenable, et la sorcellerie tirée de rituels impies et démoniaques. Milius était quant à lui parvenu à capturer une partie de cette essence : souvenez-vous des contorsions diaboliques de la sorcière, de la mutation lente et infâme de Thulsa Doom en reptile, … Une autre différence majeure réside dans le fait que le Conan de Nispel représente un barbare bien humain, aux réflexes acérés et à la force hors normes mais plausible, alors que le Conan de Milius représentait une figure mythique, surnaturelle et figée. Il n’y a que très peu de points communs entre Jason « Conan » Momoa, charismatique, agile et bavard mais banal, et Arnold « Conan » Schwarzenegger, surnaturel, robuste mais calme. L’un est le Feu, l’autre est la Glace. Faut-il préférer l’un ou l’autre ? Faut-il même les comparer ? Je ne le pense pas, car le Conan originel d’Howard est à la fois épique et divertissant, mythique et humain, et j’attends avec impatience le jour où un cinéaste parviendra à saisir intégralement la complexité de ce personnage howardien. En attendant, je remercie à la fois Nispel et Milius de m’avoir fait voyager, chacun à leur manière, dans ces contrées hyboriennes aux côtés de l’insaisissable Conan le Cimmérien.