Le dernier film de Cédric Klapisch débute par un mini tour de force. La longue scène d’ouverture (générique de début magnifique inclus) dure presque 20 minutes sans quasiment aucun dialogue. Et pour tant on comprend tout, on y voit Elise, si sûre d’elle sur ses pointes, perdre pieds parce qu’avant d’entrer en scène, elle a vu quelque chose qui l’a bouleversé et déconcentré. Jusqu’à la chute (où je jurerai que j’ai entendu l’os craquer), tout est montré avec simplicité et virtuosité et on se dit que « En corps » part sur de très bons rails. Après évidemment, le film redevient ce dont on a l’habitude avec Cédric Klapisch, et qui fait son succès : une histoire à hauteur d’homme, où l’émotion affleure partout mais dont l’humour n’est jamais absent, un humour souvent dévolu aux rôles secondaires. Même si le film, qui dure quand même presque deux heures, passe sans trop de problèmes, j’ai quand même un tout petit peu de mal avec les nombreuses scènes de danse contemporaine. Et c’est ce que je craignais un peu sur le papier, autant les scènes de danse classique sont accessibles au néophyte comme moi, autant la danse contemporaine et ses abstractions un peu lunaires m’ont laissé dubitative, pour ne pas dire autre chose. Il y en a une tout petit peu trop dans le film à mon gout, parfois assez longues, et elles ne sont pas filmées avec le désir de les rendre intelligibles. Disons pour faire court que si on est un peu étranger à ce type de danse, ce n’est pas « En Corps » qui va améliorer les choses. C’est dommage d’ailleurs car c’était l’occasion. Je souligne quand même que le film est très bien réalisé, il y a des plans inventifs, amusants et d’autres très beaux (lors des scènes en bords de mer) mais surtout que la musique, qui tient forcément une très grande place dans le film, est très bien utilisée. Voilà comment il faut utiliser la musique au cinéma : des musiques variées mais jamais passe-partout, utilisées comme il faut, à la tonalité qu’il faut, qui accompagnent les images sans les parasiter. Ca nous change des bandes originales qui se ressemblent toutes et qui envahissent chaque plan. Le rôle principal est tenu par une danseuse classique dont c’est le premier rôle autrement que sur une scène de ballet. Elle danse merveilleusement bien, c’est une évidence. Pour que qui est de la comédie, c’est parfois un peu plus difficile, dans les expressions du visage notamment où elle a parfois du mal, je trouve, à faire passer une émotion autrement qu’en fronçant les sourcils. Mais je ne veux pas être trop dure avec elle, parce que c’est un sacré défi pour une première fois, de porter un film sur ses épaules et au final, elle ne s’en sort pas si mal que cela. Pour lui faciliter les choses, peut-être, Klapisch l’a entouré de très bons comédiens confirmés à qui ils offre des seconds rôles bien écrits (même quand si certains n’ont pas assez de scènes à mon gout) : François Civil en kiné amoureux, et hypersensible, (et un peu collant), Pio Marmaï et Souheila Yacoub en couple volcanique (qui se prennent la tête pour un oui ou pour un non mais se réconcilie immédiatement sur l’oreiller), Muriel Robin en femme blessée qui rêve d’art par procuration ou encore Bruno Podalydes en père (très) maladroit. Tous sont très biens et font le job sans essayer de tirer la couverture à eux. La majorité des moments d’humour sont pour eux, un humour délicat, plein de second degré, très agréable. Le petit souci de « En corps », sur le papier, c’est quand même que son scénario est assez light. Une danseuse classique blessée cherche sa « seconde vie » e
t la trouve dans la danse contemporaine, plus animale, moins exigeante, plus instinctive, moins rigide. En gros, c’est à peu près tout et c’est un petit peu léger point de vue intrigue, quand même. Le film fait l’impasse sur quelques aspects du drame intime que connait Elise, notamment financier (excusez-moi d’être un peu terre à terre mais comment diable peut-elle se payer un appartement à deux doigts de Montmartre alors qu’elle ne travaille plus et n’a aucun plan B ?) pour focaliser sur le désarroi psychologique qui est le sien. Quand on a tout sacrifié à quelque chose (ici la danse, mais ça marcherait avec le sport aussi), quand on n’a pas fait d’études, quand on a jamais réfléchi à « l’après », comment rebondir si tout s’écroule du jour au lendemain. Le film insiste sur la psychologue et l’envie de la jeune Elise en oubliant assez vite la blessure mais surtout tout le reste, et le reste (l’argent, l’estime de soi, la reconnaissance sociale, sa place dans la société), cela ne compte pas pour rien. Je regrette un petit peu que le film, qui pose une vraie bonne question, y réponde de façon incomplète, se contentant presque de faire basculer son héroïne d’une forme de danse vers une autre, de la rigidité vers le mouvement, de l’austérité vers l’enthousiasme. Je présente à dessein les choses de façon caricaturale mais c’est un peu l’impression finale que laisse « En Corps » : tu ne peux plus danser, danse autrement, c’est un tout petit peu léger.
Si bien réussi dans la forme, avec de beaux rôles bien écrits, quelques scènes absolument superbes, « En Corps » aurait mérité un scénario un tout petit peu plus consistant.