L’oeuvre par laquelle j’ai découvert le cinéma de Lucille Hadzihalilovic, ‘Evolution’, m’avait laissé sur le pas de la porte : je n’y avais en réalité rigoureusement rien compris, à supposer qu’il y ait eu quelque chose à comprendre, mais elle m’avait tout de même, dans un certain sens, fasciné. J’en conserve encore quelques souvenirs vibrants huit ans plus tard, ce qui n’est pas vraiment la marque d’un mauvais film. Avec ‘Earwig’, les choses seront encore plus claires…ou plus compliquées, c’est selon. Comment aborder quelque chose qui soit exclusivement composé de plans fixes dans un manoir vide et plongé dans la pénombre, lesquels restent pourtant élégants et évocateurs ? Dont les rares éléments dont on pressent l’importance dans le récit ne seront jamais ni expliquées ni (rationnellement) explicables ? Un film qui fait d’une stricte économie d’éléments disruptifs et de dialogues (leur préférant des rituels routiniers et répétitifs), et d’une absence de repères temporels ou géographiques, ses caractéristiques dominantes ? De toute évidence, il faut moins l’aborder que l’accueillir, il faut le ressentir et l’éprouver au lieu de s’obstiner à le comprendre, sans chercher à toute force à déterminer s’il s’agit de la réalité, du rêve de quelqu’un d’autre ou de l’allégorie d’un cheminement mental. Les visages se superposent, les souvenirs se mélangent, comme dans un cauchemar éveillé lynchien, et ‘Earwig’ devient, à proprement parler, “incompréhensible”, bien qu’on puisse l’appréhender, ou en tout cas en donner une interprétation personnelle à un niveau plus intuitif. Je suis toujours incapable de dire si j’ai réellement apprécié ‘Earwig’ , qui aurait certainement gagné à être vu au cinéma dans des conditions plus optimales, mais son étrange séduction froide a gardé mon attention captive durant près de deux heures, sans que je me sente floué au terme de la séance par le refus de la réalisatrice d’apporter la moindre clé de compréhension à ce que je venais de voir. Cette adaptation d’un roman de Brian Catling a en effet été expurgée de tout ce qui pouvait la rendre lisible : à l’heure où je déplore cette tendance à la surexplication qui me donne en permanence l’impression d’être pris pour un con, il serait malvenu de m’en plaindre.