Pas de doute : le cinéma d’Arnaud Desplechin est un des plus typés du paysage cinématographique contemporain. A coup sûr, ses références sont faciles à identifier : François Truffaut, Éric Rohmer, Alain Resnais, Woody Allen… tous les cinéastes que l’on peut qualifier de « littéraires » et qui cultivent avec délice l’art du dialogue.
Dans son dernier opus, Desplechin a l’audace d’adapter un des écrivains certes les plus reconnus de la littérature américaine contemporaine, Philip Roth, mais dont l’œuvre se prête plutôt mal à l’adaptation cinématographique. « Tromperie » (« Deception » en anglais) est un roman autobiographique écrit en 1990 que le cinéaste a d’abord songé à adapter au théâtre, mais l’entreprise ayant échoué, il s’est tourné vers son domaine de prédilection, le cinéma. Difficile assurément de porter à l’écran un texte si « bavard » (le mot pourra en choquer certains) et qui n’assure a priori que peu de place au visuel. Arnaud Desplechin s’est d’ailleurs fait une joie d’évoquer dans son film une atmosphère théâtrale où la parole est incessante, où les roueries et les pirouettes verbales sont légion, le tout porté par des acteurs et des actrices de grand talent.
Un écrivain américain, Philip comme de bien entendu (Denis Podalydès à l’écran), vivant désormais à Londres, multiplie les rencontres avec une femme (Léa Seydoux) qui le fascine et qui représente pour lui l’amour physique décomplexé dans sa plus ample volupté. L’un et l’autre sont mariés et cultivent sans le moindre scrupule une passion adultère. Philip ne cesse d’inciter son amante anglaise à quitter son mari. Mais elle refuse et le récit peut ainsi se lire comme un long adieu mélancolique peuplé toutefois de désirs toujours aussi exigeants et d’une infinie tendresse.
Parallèlement à ces rencontres placées sous le signe de la sexualité, Philip rend visite à ses ex dont la plus touchante est sans doute Rosalie (Emmanuelle Devos) à qui tout un chapitre est consacré. Il faut dire en effet que le film est divisé en douze chapitres qui nous font passer d’un lieu à un autre mais aussi d’une femme à une autre, même si le récit nous ramène constamment au duo initial. Ainsi Rosalie mène-t-elle un dur combat contre le cancer, mais sa sérénité force le respect.
Si la tentation du théâtre se fait bien sentir, il faut toutefois reconnaître que le film est mené de main de maître par un cinéaste qui possède à la perfection l’art des plans cinématographiques : des plans rapprochés et surtout des gros plans, voire des très gros plans, accusant ainsi une volonté de scruter les personnages au plus secret de leur intimité. Il y a même de l’indécence non dans les scènes de nus, mais dans cette forme de voyeurisme psychologique que trahit la caméra.
Bien sûr, la distribution a tout pour plaire : un Denis Podalydès dans un rôle assez inhabituel dans sa filmographie, magistral et théâtral à souhait ; Léa Seydoux qui s’affirme une fois de plus comme une grande actrice, offrant ici son beau regard tout plein de finesse mais aussi parfois de mélancolie ; Emmanuelle Devos, émouvante mais sans le moindre pathos ; Madalina Constantin, incarnant une exilée tchèque au lourd passé grevé par la répression communiste (admirable chapitre intitulé sobrement « Prague ») ; Anouk Grinberg dans le rôle de l’épouse résignée : autant d’artistes splendidement dirigés et mettant tout en œuvre pour une pleine réussite du film.
Il reste malgré tout que l’on déplorera par moments la surabondance verbale qui frôle le verbiage, mais il semble que ce soit dans la nature d’Arnaud Desplechin que de privilégier le dialogue dans tout ce qu’il a d’irrépressible. En somme une logorrhée dont le cinéaste aurait du mal à se défaire.