Pour Benoît Mariage, Habib, la grande aventure est une fable sur l'identité. Le réalisateur voulait à la fois offrir le plaisir d'une histoire attractive et drôle mais aussi susciter une interpellation sur le fond. Il précise : "La réflexion proposée par le film dépasse largement le contexte de la double culture belgo-marocaine : pourquoi est-ce si difficile de devenir ce que l'on est ?
"Questionnement exacerbé quand on est écartelé par les différents milieux qui nous composent, comme c'est le cas de Habib, acteur intellectuel engagé dans la modernité, issu d'une famille traditionnelle. La grande aventure humaine qu'évoque le titre n'est pas d'avoir parcouru 40 000 km pour aller sur la lune, c'est une aventure beaucoup plus compliquée, celle de franchir cette distance qui nous sépare de nous-même."
A l'origine du film, il y a une histoire vraie. Lors d'un atelier avec ses étudiants, Benoît Mariage a rencontré Bilal, un jeune acteur novice d’origine marocaine. Le cinéaste se rappelle : "On sympathise, il me demande d'animer un atelier cinéma dans son quartier. Et puis quatre ans sans nouvelles."
"Quelle n’est pas ma surprise quand je vais au cinéma voir Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael et que je découvre, le temps d'une scène, Bilal en jeune gigolo dans le lit de Catherine Deneuve. Je l'appelle pour le féliciter : « Tes parents doivent être fiers ! ». « Tu parles », me répond-il."
"« Quand ils m'ont demandé ce que j'allais faire sur ce film, je leur ai dit que j'aidais une vieille dame à faire ses courses au Carrefour ». La tristesse d'avoir dû occulter cette expérience à ses parents fut le point de départ de mon écriture."
En revanche, le fait que Habib doive jouer Saint François d'Assise est une pure invention. Benoît Mariage voulait en effet que le protagoniste soit habité par quelque chose de fort qui le mette en porte à faux avec sa culture d'origine. Le metteur en scène raconte : "Une de mes plus belles lectures a été Le Très Bas de Christian Bobin, une biographie originale et bouleversante de François d'Assise."
"D'emblée, l'idée qu'il puisse incarner avec passion un François d'Assise au théâtre m'a convaincu. Habib est fasciné par le personnage. Peut-être tout autant que moi. Une figure révolutionnaire pour notre monde contemporain caractérisé par une avidité à posséder si peu joyeuse. Lui, le plus grand précurseur de la décroissance heureuse. Habité d'une joie parfaite. Comment, comme Habib, ne pas être fasciné ?"
Benoît Mariage a choisi Bastien Ughetto, un acteur qui n'est pas arabe, pour jouer Habib. Il explique pour quelle raison : "Bien sûr, j'ai commencé à faire des castings de gars maghrébins. Mais je ne trouvais pas. J'ai alors relancé mon directeur de casting, en précisant de façon péremptoire : « Je veux le John Turturro de Barton Fink, version arabe, c'est pas compliqué, si ? ». Il faut dire que je m'étais maté plusieurs fois Barton Fink, A serious Man et Inside Llewyn Davis des frères Coen. Trois films dans lesquels la tension comique repose sur le tiraillement mental perpétuel de leur protagoniste."
"Deux mois plus tard, il m'envoie un mail avec la photo de Bastien : « Je suis tombé par hasard dessus, il fait un peu Turturro, mais il n'est pas arabe ». Je me suis dit : « Mais c'est lui ! ». Et cette conviction de départ, très forte, n'a fait que se renforcer au fil du travail. Bastien a ce visage à la Buster Keaton. Son impassibilité apparente provoque un effet Koulechov. Il ne fait rien, ou si peu, mais l'émotion liée à l'enjeu de la scène remplit soudain son regard. Le film lui doit beaucoup. Outre le talent, Bastien est un gars généreux, investi et engagé. Bref, un immense bonheur pour un réalisateur."
Habib est un observateur quasi-picaresque du monde qui l'entoure, ce qui permet des satires cocasses des différents milieux qu’il traverse. Pour Benoît Mariage, l'enjeu dramatique du film était à haut risque : "Être touché par un gars qui parvient seulement au bout de l'histoire à dire son prénom !"
"Il fallait qu'en amont il se prenne claque sur claque pour que l'on ait envie, en bout de course, de le prendre dans nos bras. Le principe de la comédie depuis Chaplin et Keaton, c'est la peau de banane. Un plateau de cinéma, je connais – les miens et ceux des élèves que j'encadre depuis plus de vingt ans."
"Donc, les peaux de banane, elles étaient faciles à trouver. Idem avec un metteur en scène de théâtre. Un pervers narcissique prétentieux et imbécile, là aussi, dans notre corporation, on peut trouver en magasin assez facilement", explique le metteur en scène de Habib, la grande aventure.
Ce n'est pas la première fois que Catherine Deneuve joue son propre rôle dans une fiction. Il en a déjà été ainsi dans Tout peut arriver, Absolument fabuleux et La Guerre des Miss, où elle se fendait d'un caméo vocal. Sa présence dans Habib, la grande aventure est assez réduite, mais capitale dans le cheminement du héros.
Les seconds rôles, notamment au sein de la communauté belgo-marocaine, offrent aux acteurs des compositions truculentes, comme le note Benoît Mariage : "Il faut citer Ahmed Benaïssa, qui joue le père. Hélas, il est mort d'une embolie pulmonaire pendant le dernier Festival de Cannes, le matin de la présentation de son dernier film. C'était une immense figure du théâtre algérien, quelqu’un d’une grande humilité avec qui c’était un bonheur de travailler. Il n'aura jamais vu le fruit de son travail sur ce film."
"Parmi les autres comédiens, Farida Ouchani, une merveilleuse découverte qui joue la mère, a été castée à Paris, tout comme Sofia Elabassi, la petite amie du père. Les autres rôles, comme le maire (Ben Hamidou) et l'imam (Mohamed Ouachen), viennent plutôt de la scène théâtrale bruxelloise."