À l’image de l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine est plus que jamais au-devant de la scène, car le pays file vers l’indépendance. C’est également ce qui animera la quête du héros, malgré un parcours atypique, mais dont la volonté sera épargnée. Oleh Sentsov a déjà exploré un pan de cette ascension avec son adolescent « Gámer », avant de passer à la dystopie absurde avec « Numbers », qu’il a réalisé durant son incarcération en Sibérie. Ici, il cherche l’accompagnement par l’intime, une manière de prouver son aisance avec le sujet et de justifier la portée de la tragédie vécue. C’est avec l’âme d’un militant, mais également d’un citoyen convaincu, qu’il mène à bien cette première réalisation, post-libération. Malheureusement, la réalité fait que l’ombre russe traîne toujours dans les parages. C’est donc une manière pour lui de célébrer la résistance et la culture ukrainienne à travers le cinéma.
Un enfant apparaît là, déjà loin de l’innocence qu’on pourrait lui associer. Il vit dans un mouvement de violence, jusqu’à mettre à terre un tournesol ou provoquer quelques gamins d’un quartier voisin. Il réagit à l’instinct, fait appel à ses pulsions, qui le réconfortent et le protègent. C’est déjà le signe avant-gardiste qui fera de lui un animal, qui aura son temps pour être apprivoisé, mais également un temps où le rodéo sera sans limite. Il devient alors un rhinocéros, cornu par les coups qu’il encaisse et devra simplement cultiver ce qui fait de lui le père et le gangster de sa famille. Ce n’est qu’à la spontanéité d’un habile plan-séquence que le cinéaste restaure son passé, son enfance et son foyer. Il peut également s’agir d’un miroir subtil que la mutation de la société à travers le temps, jusqu’à venir troubler l’équilibre familial. Vova (Serhii Filimonov) apparaît alors comme une brute, qui trône sur son patelin à sa manière et file à la conquête d’autres territoire avec des partenaires, encore plus nerveux que ce dernier.
Sentsov s’en tient donc au portrait de cette génération, voire de son héritage, sachant qu’entre les embuscades armées et les orgies, il existe bel et bien une rédemption au bout du tunnel. Il en appelle au versant émotionnel de son anti-héros, qui ne gagne pas toujours à être crédible, car le classicisme du récit balise déjà toute la chute qui l’attend. Parallèlement, le discours naïf qu’il entretient freine son espérance de vie. On ressent ainsi une hésitation entre la solitude du patient et un collectif dysfonctionnel, mais la caméra se contente parfois de décrire plutôt que d’investir pleinement la psyché des protagonistes. La mise en scène ne reste pas moins audacieuse et offre des instants de pure sincérité entre les coups involontaires et le plaisir de vivre. On pense notamment à un mariage, où les personnages féminins perdront ensuite toute leur verve, afin de servir la rébellion du « Rhino » (Nosorog), loin d’être pleinement satisfait de l’ordre établi.
Les institutions sombres et la criminalité prospère, même jusque dans la haute sphère gouvernementale, parfois absente, parfois oppressante. Ce sont ceux qui tiennent une arme à la main qui ont le pouvoir de changer, mais c’est avec tout sur le travail introspectif que Sentsov cherche à convaincre son public. Que ce soit étroitement lié ou non à la situation géopolitique de son pays natal, le metteur en scène cultive habilement le folklore des gangsters. Il nous surprendra de moins en moins au fil du récit, mais continue néanmoins de maintenir une tension palpable, superposée sa définition de la tragédie, celle qui touche son âme, celle qui empoisonne sa patrie.