Le feu et la glace
Grosse coproduction réunissant l’Autriche, le Luxembourg, l’Allemagne et la France, le film historique de Marie Kreutzer, sorti il y a un mois, peine visiblement à trouver son public. En s’éloignant de l’image fantasmée de la Sissi du cinéma de 1956, le risque était grand de dérouter le public hexagonal pas forcément féru d’Histoire. Et c’est une évidence que ces 113 minutes, aussi superbes visuellement soient-elles, sont aux antipodes de l’imagerie kitsch et romantique habituelle. Noël 1877, Élisabeth d’Autriche (Sissi), fête son 40e anniversaire. Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice. Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Étouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Élisabeth se rebelle de plus en plus contre cette image. Portrait glaçant d’une impératrice triste qui en déroutera plus d’un. Mais quelle actrice !
D’emblée une grosse erreur. Pour une fois que la distribution française a décidé de garder le titre original allemand, c’est une grosse bourde. Car « corsage » est ce qu’on appelle un faux ami, il ne se traduit pas par « chemisier » ou « blouse », mais par « corset »… ce qui est évidemment le sujet de ce film. Ballot, non ? Le scénario respecte les faits historiques qui, pourtant, ne servent que de toile de fond. Ici, on s’intéresse plus à la femme qu’à l’Histoire avec un grand H. La reconstitution est plus que soignée et la photographie touche au sublime. Mais c’est bien le récit d’émancipation, teinté de mélancolie et d’austérité qui nous frappe. Un biopic qui prend ses libertés avec la réalité historique pour nous offrir un portrait audacieux et vibrant d’une femme broyée par les conventions qui pèsent sur la mort programmée d’un monde, celui des Habsbourg.
Vicky Krieps, prix d’interprétation à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, porte le film de bout en bout avec une force étonnante, et, en bonne luxembourgeoise, elle manie l’allemand, le français et l’anglais avec une aisance incroyable. Elle est la raison principale de voir ce film. Autour de cette Sissi jamais vue, gravite une très belle distribution avec Florian Teichtmeister, Katharina Lorenz, Jeanne Werner, Aaron Friesz, Manuel Rubey, Finnegan Oldfield… Une femme moderne avant l’heure étouffée dans le carcan d’un monde qui n’est pas fait pour elle. Glacial et mélancolique.