« You want to be great ? You are nothing without me. »
On ne va pas épiloguer sur la longue liste d’erreurs historiques et d’invraisemblances qui parsèment ce Napoléon (jusqu’aux signatures des deux principaux protagonistes qui oublient qu’en français, il y a des accents à Joséphine et Napoléon), on sait que Ridley Scott n’est pas le réalisateur le plus raffiné du 7ème art et que ses productions historiques, dont certaines valent le détour, sont souvent éloignées de la réalité des faits. Souvent, pourtant, elles permettent d’appréhender le climat d’un lieu, d’une époque, et ce malgré la propension du réalisateur à surjouer la violence et les effusions de sang. Ici, Ridley Scott revient à ses premières amours : l’époque napoléonienne, celle-là même qui le vit débuter aux longs métrages avec le cultissime Les Duellistes (1977), en prenant cette fois l’Empereur comme personnage principal. De l’action et du grand spectacle, c’est ce qu’on attend forcément du réalisateur qui a su, souvent, intégrer ces deux ingrédients dans des fresques habiles et intelligentes où la romance n’est pas étrangère. Ce devait être encore le cas cette fois.
Pourtant, la sauce ne prend pas. Si les scènes de guerre sont bien rendues, si la progression de Bonaparte est plutôt fidèle à l’Histoire, le climat de l’époque est trop souvent envahi par une débauche de cris (parfois en français, parfois en anglais, pourquoi ?) et de hurlements bestiaux et l’interprétation est très moyenne. Joaquin Phoenix incarne un Napoléon éteint, endormi, deux de tens’ comme diraient mes élèves, et Vanessa Kirby une jeunette censée être de six ans son aînée, qui n’apparaît que de moments en moments, trop peu pour qu’on puisse être convaincu par l’orientation voulue par le réalisateur. Les seconds rôles n’apportent rien d’attachant et semblent même interchangeables, sans relief. La musique enfin, signée Martin Phipps, est souvent invasive mais pas dénuée d’intérêt par ses accents classiques (Haydn) voire baroques (Purcell), certes, mais aussi leur déclinaison romantique (Beethoven a 44 ans au moment de Waterloo) et l’adjonction subtile de polyphonies corses modérées.
L’idée de psychanalyser, sur un mode freudien, l’un des plus grands personnages de l’Histoire de France à l’aune de son manque de confiance en lui par rapport aux femmes et le lien à sa mère était intéressante et pouvait apporter un éclairage original sur lui. De la même manière, une vision anglaise du personnage Bonaparte pouvait nous débarrasser des panégyriques lénifiants et simplistes inscrits dans la tradition du Roman national français. Las. Ridley Scott et David Scarpa, son scénariste, ne savent jamais où se situer, dans quel genre de film, la fresque historique, la volonté de recadrer, voire ridiculiser parfois, le personnage (entre l’image du héros et celle du boucher sanguinaire, né de la Révolution et parfaite incarnation de sa négation), le mélodrame, l’intime ou le film de guerre (épinglons la magnifique scène de la bataille d’Austerlitz et l’apothéose à Waterloo mais aussi la campagne et la retraite de Russie, bâclées, indignes du talent de Scott). Sur à peine 2h30 de visionnage, ça fait trop de partis pris, laissant un goût d’inachevé et de survol, et, même si le réalisateur a promis de commercialiser un Director’s Cut de 4h, on doute que la rallonge puisse apporter une vraie densité et du liant à l’ensemble, résolument trop académique et linéaire, voire carrément primaire.
Restent les reconstitutions et, pour finir sur une note positive, on conseillera à Ridley Scott de se concentrer sur les films essentiellement épiques, c’est ce qu’il fait de mieux et c’est là qu’il place le mieux ses positions, loin d’être inintéressantes, notamment sur l’importance des femmes et la barbarie de la violence des hommes (tout en l’esthétisant).