L’exercice du pouvoir
Le 1er film de Thomas Kruithof, La mécanique de l’ombre en 2017, était plus que prometteur. Ces 98 minutes de thriller politique sont à la hauteur des attentes. Maire d’une ville du 93, Clémence livre avec Yazid, son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité minée par l’insalubrité et les "marchands de sommeil". Ce sera son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection. Mais quand Clémence est approchée pour devenir ministre, son ambition remet en cause tous ses plans. Clémence peut-elle abandonner sa ville, ses proches, et renoncer à ses promesses ? S’il y a une chose que le ciné hexagonal sait faire, c’est bien les films politiques. Celui-ci est remarquable, tant par son scénario bien tordu, mais jamais manichéen, et par ses personnages complexes. Un casting +++ par-dessus tout ça et voilà un excellent film qui tient… ses promesses.
Kruithof a voulu s'intéresser au courage politique et nous prouve que c'est bien à l’échelon local qu'il persiste encore. En brassant une matière humaine et sociale passionnante et viscérale ici, autour de problèmes de copropriétés dégradées et de marchands de sommeil, le scénario frappe juste et fort. La « promesse », c’est l’unité monétaire de la politique. C’est ce que les personnages échangent tout au long du film. Mais ce sont aussi les promesses que l’on se fait à soi-même, la ligne de conduite qu’on se promet de suivre. Et il peut y avoir un fossé entre la réalité et cette ligne idéale. Symboliquement, l’héroïne ne cesse de monter et de descendre des escaliers dans tous les lieux où elle va. C’est évidemment à l’image de la carrière complexe et souvent contrariée d’une femme politique en proie aux doutes, aux contradictions et aux embûches de toutes sortes. Enfin, un autre excellent choix, avoir laissé de côté toute idéologie, ce qui permet de mieux se concentrer sur le combat quotidien des protagonistes. Une réflexion sur le pouvoir assujetti d’un suspense haletant. Une vraie réussite… Et puis quel casting !
Je ne vous referai pas une fois de plus mon couplet sur l’admiration que je porte à l’immense Isabelle Huppert. Egale à elle-même, elle irradie ce film de tout son talent et de toute sa présence, tout en donnant l’impression de ne pas y toucher. Du grand art ! Mais à ses côtés il y a l’impeccable Reda Kateb, toujours aussi juste et sobre. Un très grand acteur ! Le reste de la distribution, Naidra Ayadi, Jean-Paul Bordes, Laurent Poitrenaux, Soufiane Guerrab, passe les plats avec justesse et élégance. Tout en tensions, sur les méandres de l'ambition confrontée à la loyauté, la lâcheté, ou le courage du renoncement… un sujet ambitieux parfaitement traité et mis en images. Captivant.