Avec « Les Promesses », le réalisateur Thomas Kruithof fait un sacré pari : captiver le spectateur pendant 1h40 sur un sujet technique (pour ne pas dire technocratique), pas glamour pour un sou, en montrant les dessous d’une vie politique locale compliquée, pleine de compromis, de renoncement et loin, très loin des idéaux les plus purs. Thomas Kruithof fait donc le pari de la sobriété à tous les étages : un rythme soutenu mais sans scènes qui sortent du lot, une musique discrète, une réalisation conventionnelle, il ose quelque chose que le cinéma n’ose pas très souvent : il mise sur le fond, et il parie sur l’intelligence des spectateurs. Pour réussir, il s’offre juste le luxe de deux acteurs formidables : Isabelle Huppert d’abord, dont le talent protéiforme n’est largement plus à prouver, et Reda Kateb. Alors je suis une fan de cet acteur depuis bien longtemps, du temps où il occupait des seconds rôles. Même à cette époque là, avec juste quelques scènes il sortait du lot. Alors ici, dans le rôle de Yazid, un directeur de cabinet qui ira loin, intelligent, pugnace, fidèle mais qui n’hésite pas à renverser la table quand il le faut, il livre, je trouve, une de ses prestations les plus abouties. Les seconds rôles ne sont pas en reste, Naidra Ayadi en première adjointe droite dans ses bottes, Hervé Pierre en patron du parti (socialiste ?), Soufiane Guerrab en homme de main d’un marchand de sommeil ou Jean-Paul Bordes en porte parole des copropriétaires (tout en colère sourde, très convaincant), tous profitent de seconds rôles suffisamment bien écrits pour qu’ils puisse donner du relief à leur jeu. Mais en réalité, la star du film, c’est le scénario et c’est bien là-dessus qu’il faut s’attarder. La réhabilitation des logements insalubres, la politique de la ville mais aussi la cuisine politicienne, le jeu des ambitions personnelles, tout cela est étroitement entremêlé dans « Les Promesses ». Alors oui, le film ne brosse pas le combat héroïque d’un maire désintéressé contre une machine politicienne cynique et déconnectée des réalités. Clémence et Yazid ont beau avoir les mains dans le cambouis, ils ont à faire avec des réalités cruelles : c
elles des copropriétaires qui refusent de payer leur charge et du cercle vicieux que cela provoque, celle des marchands de sommeil qui ont intérêt à ce que surtout rien ne change, celle d’un pouvoir régalien qui n’a pas d’argent pour tous les projets et qui doit arbitrer entre les pauvres d’une cité et les pauvres d’une autre, une jurisprudence qui ferme des portes déjà étroite, une code des marchés publics qui vous vaut des inimitiés, mais qu’il faut bien respecter. Et plus en plus de tout cela il y a des écueils très humains : la difficulté de décrocher, la peur de « l’après », les ambitions personnelles (et légitimes) qu’on peut nourrir.
« Les Promesses » montre, avec une clarté assez bluffante, la réalité compliquée d’une vie politique locale où il ne suffit pas de « vouloir » pour « faire ». En fait, « Les Promesses », c’est le contraire d’un film populiste. Alors forcément, ce n’est pas aussi facile d’accès qu’un pamphlet, ce n’est pas aussi exaltant qu’un film qui montrerait les bons (le maire, les gentils administrés, les pauvres) contre les méchants (le Gouvernement, les marchands de sommeil, les partis politiques). « Les Promesses » est un film passionnant mais un peu exigeant, parfois même un petit peu austère, et qui ne conviendra pas à tout le monde, qui ne convaincra pas tout le monde. Mais moi, j’ai eu l’impression de comprendre de bout en bout tous les enjeux, et rendre clairs et intelligibles des enjeux aussi techniques n’est pas la moindre des qualités du scénario. Si on veut chercher le petit défaut,
on pourra dire que le suspens de la fin, qui donne l’impression que tout se décide en deux minutes entre deux portes, n’est pas forcément hyper crédible. C’est un artifice de cinéma qui a fait ses preuves, et comme le film est très sobre et sérieux pendant 90 minutes, on lui pardonne cette toute petite facilité dans les 10 dernières : c’est de bonne guerre !
Je recommande « Les Promesses », ce n’est pas si souvent que le cinéma français nous propose un film avec un fond aussi pertinent et citoyen, aussi intelligent qu’il est peu manichéen.