Retour aux sources pour Céline Sciamma, qui nous ramène dans son Cergy natal, au détour d’un conte, adorable et intemporelle. Tout juste après la sensation lyrique que nous a laissé son « Portrait de la jeune fille en feu », elle s’empare d’une pensée, d’un souvenir, d’un fragment de vie qui s’accommode pourtant peu à des générations qui n’ont de cesse que de regarder vers l’avant. Le contre-pied est donc idéal, à plusieurs niveaux, où la réalisatrice dépasse l’avènement du deuil afin que des enfants y bâtissent une passerelle, permettant de communiquer toute la sensibilité et la sagesse de ceux qui auraient grandi trop vite. C’est également un film qui demande la permission avant de s’engager dans la tourmente, à hauteur d’enfant et ces derniers partagent autant de petites histoires que de grands rôles.
Une grand-mère s’éteint et il ne faudra pas plus de quelques minutes pour que la virtuosité de la mise en scène et du montage de la cinéaste frappe. D’une porte à l’autre, c’est un portail de plus que la jeune Nelly emprunte, où il serait facile de s’arrêter à la régression induite par sa trajectoire. Nous avons à faire à un nouveau portrait, celui d’une famille ou plutôt d’une sororité d’exception, où les codes du fantastique sont convoqués avec une maturité à en défier l’autorité parentale. Et c’est justement une discussion symbolique qui ne refermera jamais sa parenthèse. L’espièglerie de Sciamma s’affirme à chaque nouveau pas et chaque aller-retour entre cette cabane dans les bois et le domicile de deux filles, qui s’écoutent, qui se complètent et qui jouissent d’un instant à la fois perdu et retrouvé. La question du point de vue intervient alors rapidement, si bien qu’il sera important de reconnaître les limites du jeu de rôles comme une frontière ludique, dont on ne verra jamais entièrement la silhouette.
En quoi Nelly s’identifie-t-elle à sa mère et en quoi cette dernière nourrit l’imaginaire de sa fille ? Il existe tant d’autres problématiques qui viendront se greffer à cette guérison, finalement sous les traits d’une quête initiatique. Le choix des deux sœurs Joséphine et Gabrielle Sanz comme comédiennes n’est pas anodin et les confronter à deux autres générations l’est encore moins. Dans ce qui semble tenir de la rêverie, on nous prend par la main, d’une poignée ferme et sans hésitation, par le prisme d’un regard simple et sans jugement. Dans toute cette collaboration émotionnelle, le sujet bouleverse. La crainte de ne plus pouvoir remettre les pieds dans un refuge de nostalgie nous agrippe à une réalité que l’on redoute, mais tout ce que l’intrigue souhaite avant tout véhiculer, c’est le droit de rêver et de transmettre cette maigre consolation, qui peut se transformer en plus une chose bien plus importante dans les moments les plus durs.
« Petite Maman » construit toute sa poésie autour d’une rencontre manquée et peut-être passé, mais n’éprouvera pas le besoin de la justifier. En citant ouvertement Miyazaki comme référence, la réalisatrice entame ainsi une introspection bienveillante, en harmonie avec un environnement cyclique, où il sera permis au temps de se figer. Les distinctions se brisent et tout se confond. Maternité, sororité, amitié… Tout. Il y a tant de justesses dans ce message d’émancipation qu’il serait permis de l’interpréter avec une simple pulsion. Finalement, avec la bonne distance et la bonne inclusion de ses sujets, l’expérience d’hier devient celui de demain et vice-versa.