À l'occasion de ma centième critique et de mon premier anniversaire sur SensCritique je tenait à me confier sur ce film qui me hante, qui vit en moi, auquel je pense à chaque instant, plus qu'un film, une obsession, plus qu'une obsession, un désir, le désir de connaitre ce film, de le comprendre, de déjouer le piège, le jeu qu'il nous impose, un jeu complexe, dans les tréfonds de l'âme humaine, halluciné et hallucinant, une peinture aérienne et ultra contemplative, un jeu qui porte le nom d'une route sinueuse, dominant la cité des rêves, de la richesse, de la corruption et des anges.
Conçu au départ pour être un pilote d'une nouvelle série faisant suite à "Twin Peaks", le résultat final qu'un certain David Lynch offre aux producteurs leur déplaisent fortement, Lynch l'aura lui même désapprouvé, cadrant des excréments de chiens, et trainant son film en longueur, trop complexe, trop déroutant, de plus que le cinéaste est souvent en conflit artistique avec ABC qui avait commandé ce pilote à sept millions de dollars. Lynch trimballe donc une oeuvre morte née, mais vient le miracle, un miracle qui porte le nom de Studio Canal qui réussit à convaincre le cinéaste de porter son pilote en film, le projet change radicalement de route, Lynch repart en tournage avec la même équipe, réécrit complètement son oeuvre. Le résultat lui vaut d'être récompensé par le prix de la mise en scène à Cannes, "Mulholland Drive" jaillit du rêve de son auteur en 2001 et se voit perçu comme le meilleur film des années 2000 par un grand nombre de critique. Mais malheureusement le résultat reste subjectif, personne ne peut nous souffler quel film est le meilleur des années 2000, mais dans toute sa subjectivité, "Mulholland Drive" reste une oeuvre d'exception qui est entrée dans la légende. Le film qui ne croisera pas un immense succès en salle par rapport à son engouement, mais cela ne fait rien, le box office ne définit pas le cinéma, mais la qualité de l'oeuvre peut le faire. "Mulholland Drive" fait aujourd'hui partie des grandes références du cinéma, un classique dont il faut se souvenir et qu'il faut conserver.
Mais qu'est ce que "Mulholland Drive" ? Le film a cette particularité de ne pas avoir pris une ride, aujourd'hui encore, plus de dix ans après sa sortie il fascine encore, continu à obséder, à laisser une empreinte indélébile, grâce à son mystère, son atmosphère. Sur une route obscure, la caméra suit une voiture sous le thème de Angelo Badalamenti, l'ombre plane, la mystère devient ambiant et ne nous quittera plus, quand d'un seul coup la voiture est violemment percutée et part dans le ravin. En sort une femme, une brune aux formes faisant penser à une Anita Ekberg, à la recherche d'un lieu, ne sachant définir ou elle se trouve, craintive même. Elle réussit à s'introduire dans un petit pavillon quand le jour se lève, totalement amnésique, elle rencontre une locataire, Betty, la blonde songeuse, par peur la brune lui dit qu'elle s'appelle Rita avant de se plier et lui avouer qu'elle ne sait pas qui elle est. Betty encouragée par le mystère, va vouloir aider à brune à connaitre son identité. En parallèle, le réalisateur Adam à l'allure avant gardiste, se voit tout perdre, son film, sa femme, sa maison, sa vie, tout ça avant de rencontrer un étrange cowboys. Et pendant ce temps un tueur à gage à la gesticulation minable demande à une jeune fille si elle n'a pas vu une femme brune dans la rue.
Avant "Mulholland Drive" David Lynch était un auteur réputé, depuis la sortie de son oeuvre majeure il est l'incarnation de l'insolite cinématographique et du cinéma anti-conformiste. Regarder "Mulholland Drive" pour profiter de son atmosphère est une expérience envoutante, saisie par une atmosphère sombre, viscérale, mélancolique, glauque, mystique, intime et dense, mais du calme ! Tout en faisant abstraction du jugement intellectuel le cinéma est avant tout un refuge de mystère et de sensation, Lynch est probablement l'un de ses protagonistes qui l'a le mieux comprit. Rapidement on s'abandonne dans sa cité des rêves, comme hypnotisé par une atmosphère rêveuse, féminine, et de putréfaction dont il en fait le thème principal, le pourrissement est physique et psychologique symbolisé grâce au monstre noir derrière un fast food, représentation de la culpabilité pour la blonde, la culpabilité la poussant au suicide, son corps qui s'évanouit dans un lit, loin de cette réalité catastrophique ou son rêve à été volé, celui d'être une star, elle est une actrice de second plan qui dépend de celle qui est devenue sa pire ennemie : la brune qu'elle fera tuer avant de se réfugier dans un rêve ou tout va bien, le fantasme d'une réalité parallèle ou elle semble assister impuissante aux événements, une réalité parallèle ou s'incruste des éléments du réel, le cube, la clé, le téléphone sous un abat jour rouge annonçant que le meurtre a échoué. Au sommet de l'élégance et du suspens Lynch nous entraine dans cette intrigue à la foi ludique et vertigineuse, incrusté par des références allant de "Gilda" à "Vertigo" mais on ressent que sa principale inspiration reste "Persona" de Igmar Bergman tant au niveau de la mise en scène que de la narration. Il met en scène l'amour comme rarement vue, "I'm in love with you", une onde de choc sublime, les deux créatures se révèlent leur attachement sexuel, puis le film détruit tout ce qu'il a construit, et cela avec une élégance sidérante … mais "Silencio", le rêve est alimenté par la réalité, comme le film en général, comme si ce que voulait dire Lynch, c'est que le cinéma est un rêve, il n'y a rien de réel dans cet art subjectif. "Mulholland Drive" n'est qu'un film normal, noir avec des écarts purement burlesques bienvenus, comme disait Shakespeare "meilleure est une oeuvre si elle arrive à transmettre des émotions radicalement opposées", David Lynch à prit ces paroles à la lettre, "Mulholland Drive" est parfois à la limite de la comédie (la scène du tueur à gage ou ce dernier se retrouve de part sa bêtise obligé à tuer trois personnes), il fait intervenir le rire dans le propos le plus tragique qui soit mais le rire ne prend jamais le dessus sur le drame pour le rendre d'avantage sublime et faisant disparaitre les longueurs qu'il aurait pu subir.
Culpabilité, rêve, subconscient, désir, solitude, mort. "Mulholland Drive" survole tout avec un panache allégorique absolument sidérant, comme une brise, puis comme un cyclone qui ravage et prend aux tripes, on est émerveillé, intrigué, excité et meme amusé, là on peut déceler le tour de magie que Lynch à employé, son idée est infinie, elle nargue les codes du cinéma pour en repousser les limites, arrivant à faire l'alchimie entre une magnifique histoire d'amour et un puzzle ultra ludique et unique qui dispose de plusieurs clés qui peuvent le résoudre de multiple façon, l'identité du dormeur est en effet inconnue, peut être est ce une histoire totalement réelle coupée par des passages rêvés, les plus observateur remarquerons que chaque scène qui n'a à priori rien à voir avec l'histoire (la conversation dans le Winkies, le tueur à gage, l'arrivée de Betty à Los Angeles) intervient dès que Rita s'endort, peut être sont elles également ses rêves, ce qui rendrait la chose d'avantage complexe. Mais "Mulholland Drive", malgré sa forme déroutante, arrive à garder cette atmosphère romantique, une puissance mélancolique digne d'un grand mélodrame s'installe alors, renforcée par la musique composée par Angelo Badalamenti qui comme la voiture dans l'introduction prend des virages serrés dans l'obscurité, la composition variant ainsi en fonction du contexte de la scène, noire, presque mystique, insoutenable, pour passer au burlesque, puis à l'euphorie, la beauté dans son absolue, le romanesque et même le merveilleux à l'état pur. Badalamenti qui ne se prive pas de camper le rôle d'un mafieux exigeant en terme d'expresso (quand on sait que Lynch est un très grand fan de café, la séquence prête tout de même au rire) dans la scène ou Adam, le réalisateur, se voit reprendre son film, car "Mulholland Drive", dans tous ces jeux de rôle, exerce également une critique de Hollywood plutôt vive, en faisant le sens même du cauchemar que va vivre Betty dans la réalité, Hollywood qui va transformer sa vie en une décente aux enfers, dans cette thématique de rêve brisé on se rapproche quelque peut de "Boulevard du Crépuscule" de Billy Wilder que Lynch cite fréquemment comme une référence. Le film sonne comme une critique de tout ce qui porte atteinte à la création artistique, tromperie, manipulation, mauvais prétexte, assumant également un coté nostalgique ou il rend hommage au cinéma 'conventionnel' qui aura fait du paradis du rêve ce qu'il est.
Puis vient ce final, ultime apogée mélancolique, la beauté du monde qui s'illustre dans deux fantômes, blonds tous les deux, heureux, contemplant la raison de leur mort : un rêve, le rêve de conquérir la cité des anges qui les aura réduit à néant. Puis vient le théâtre des pleures, celui ou les deux femmes sont allés et ont été bouleversées par une femme qui chantait du playback dans une valse émotionnelle, pour ce final il est vide, et une femme aux cheveux cyan, droite évoque ces paroles "silencio", hommage à Jean Luc Godard ou impact totale sur l'intrigue ? On ne saura peut être jamais.
...Un des visages du cinéma.